Elle s’appelait Claire-Élisabeth-Jeanne de Vergennes, mais quand il lui faisait la cour, il l’appelait « Clary ». Lui se nommait Augustin-Laurent de Rémusat. Ils se connaissaient depuis les débuts de la Révolution, et se marièrent en 1796.
“Je vous dirai, cher ami…”. Lettres de Madame de Rémusat à son mari (1804-1813), Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 2016, 360 p., 21,50 €.
Elle avait à peine seize ans et était orpheline d’un père guillotiné trois jours avant la chute de Robespierre. Lui, un « homme assez ordinaire », aux dires de son propre petit-fils, en avait dix-huit de plus et était veuf d’une première épouse morte en couches. Malgré cela, ce fut un bon ménage et les lettres de Madame de Rémusat à son mari, rééditées partiellement dans la collection « Le Temps retrouvé », illustrent des moments de complicité, des périodes de tension, mais aussi la profonde affection d’un couple qui servit Bonaparte, puis Napoléon, lui en devenant préfet du palais du Premier Consul puis premier chambellan et surintendant des spectacles, elle en étant dame pour accompagner, puis dame du palais de Joséphine de Beauharnais, madame Bonaparte, future impératrice, une amie de sa mère. Mme de Rémusat devait rester fidèle à la première épouse de l’empereur après sa répudiation.
Les Mémoires de Mme de Rémusat ont été publiés par son petit-fils Paul en 1880 qui disait honorer ainsi un souhait de son père pour lequel ce texte constituait avant tout un témoignage irremplaçable sur les premières années du siècle. La fidélité à son engagement familial n’empêcha pas l’éditeur premier d’observer que sa grand-mère ne se laissait pas brider dans ses souvenirs : « la liberté de ses jugements sur les choses et sur les personnes est absolue ». Ses lettres, écrites avec élégance, mais aussi avec tendresse, traduisent le caractère de celle qui, selon son fils, unissait plus que quiconque la « sévérité morale » et « la sensibilité romanesque ». Talleyrand écrit d’elle, alors qu’elle n’a pas trente ans : « Beaucoup d’idées, une perception vive, une imagination mobile, une sensibilité exquise, une bienveillance constante sont exprimées dans son regard. Pour en donner une idée, il faudrait peindre l’âme qui s’y peint elle-même, et alors Clari [sic] serait la plus belle personne que l’on pût connaître. »
Le recueil de lettres, adressées entre 1804 et 1813 par Claire de Rémusat à son époux, démarre lorsque la jeune femme est désolée d’être séparée de celui qu’elle aime. La fidélité conjugale suscite encore les moqueries d’une certaine frange de la population. L’épistolière d’écrire à son mari : « Si vous n’étiez pas si aimable, je serais perdue de réputation par l’air de désœuvrement et de tristesse que je porte partout, mais heureusement que vous avez pris le sage parti de me justifier, et qu’on trouve que j’ai raison. » Les premières lettres surtout contiennent des déclarations charmantes au détour des nouvelles familiales, comme celle écrite de Sannois le 17 floréal an XIII (7 mai 1805) à Rémusat, alors en séjour à Milan, et qui termine ainsi : « Adieu, cher ami, le jour me fuit, et le papier va me manquer. Adieu donc, je t’embrasse ou je vous embrasse, car je remarque que mes lettres sont un vrai salmis de tu, et de vous. Quand je cause tout simplement, une certaine convenance me fait dire vous ; mais quand le cœur s’en mêle, alors le tu arrive sans que j’y pense. Prends tout cela comme tu voudras, car cette manière me plaît assez, et je garderai ce désordre à la condition que tu me tutoyeras toujours dans tes lettres. Adieu, je n’y vois plus, et je vous salue. Tu sais si je t’aime. »
La fidèle épouse qui se languit de son bien-aimé s’abonne à un cabinet de lecture et apprend l’anglais. Elle lit Sévigné, Godwin, Montesquieu ou Rousseau, tente de trouver des repères et d’en transmettre à son fils. Elle va surtout beaucoup au théâtre et, de toute évidence, même si nous n’avons pas les réponses du destinataire, il est, comme elle, passionné par les spectacles dramatiques et ils s’en donnent, où qu’ils se trouvent, des nouvelles. Il est également question de leurs amis communs, dont la romancière Adèle de Souza ou de proches comme des membres de l’Académie. L’un d’entre eux, Morellet, estime que les femmes ont des moyens à elles d’utiliser les mots. C’est du moins ce qu’il affirme à l’occasion d’une conversation, en juin 1805, à propos du Dictionnaire de l’Académie : « L’abbé Morellet prétend que ce sont les ouvrages des femmes qui le gênent le plus pour la signification des mots et la manière de les employer. Notre amie, madame de Sévigné, le désole, et, comme il ne fait pas grand cas de tous ces riens de sentiment dont les compositions féminines tirent leur plus grand charme, il consentirait volontiers à les brûler toutes, et à nous interdire d’en essayer jamais. » Gallois de défendre les femmes en affirmant que « les négligences de style ne sont que des manières plus heureuses d’exprimer leurs pensées. » Au détour de l’anecdote, tout ramène l’épistolière à son mari absent : « si je faisais un dictionnaire j’y multiplierais, autant que je pourrais, les manières de lui exprimer ma tendresse, que je ne puis jamais parvenir à lui peindre aussi vive que je la sens au fond du cœur. »
Dans cette édition, les notes sont au mieux indigentes, au pire totalement inutiles (la note 53 p. 58 en est un exemple hors pair). En certains endroits on aurait aimé en avoir qui sont absentes. Il y a des coquilles regrettables dans le volume. La collection nous avait habitués à mieux. Il n’en reste pas moins que les lettres de Claire de Rémusat sont touchantes, bien tournées et truffées d’idées et de formules. Elles auraient mérité des soins autres en termes éditoriaux. On ne peut néanmoins que se réjouir de pouvoir les lire.