« Seules les femmes survivent »

Dans trois textes brefs, Olivia Rosenthal se livre à un exercice déjà entamé en 2012 lorsqu’elle a publié Ils ne sont pour rien dans mes larmes. Quatorze voix singulières répondaient à cette question : « Quel film a changé votre vie ? » Ici, l’auteur raconte, en toute subjectivité, trois grands succès populaires du septième art. Elle revient sur la saga des Alien, sur un classique de Hitchcock et enfin sur un dessin animé de Walt Disney.


Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens suivi de Les oiseaux reviennent et de Bambi & Co. Éditions Verticales, collection « Minimales » 10 €, 160 p.


Olivia Rosenthal propose une lecture des films donnant à voir des réalités que la société tente d’éluder. L’auteur se tient à distance de la critique cinématographique. Elle préfère raconter les films à travers ses souvenirs de spectatrice, forcément incomplets, parfois confus, et même trompeurs. Ainsi, le récit de la tétralogie des Alien – un film pour les femmes – est le lieu d’un manifeste féministe. Le titre de son livre devient vite un leitmotiv qui parcourt le texte : toutes les femmes sont des aliens, toutes les femmes sont des monstres, elles possèdent la puissance de création et effrayent, par conséquent, les hommes. L’actrice, Sigourney Weaver est une femme-soldat mais « avant tout une mère » dans ces films où « seules les femmes survivent, les hommes meurent ».

Au cœur du texte suivant, Les oiseaux reviennent, il est aussi question de la mort et de l’énigme de la peur. « Le plus important, c’est de survivre » explique Olivia Rosenthal. L’auteur, qui a déjà vu à trois reprises Les oiseaux de Hitchcock, se trouve confrontée à sa mémoire cinématographique défaillante. Persuadée de trouver à l’écran des couples qu’elle invente, « Cary Grant et Ingrid Bergman ou à la rigueur James Stewart et Kim Novak », elle est déçue d’être confrontée à Rod Taylor et Tippi Hedren, mais trouve dans la narration de ces souvenirs-écrans le prétexte pour expliquer le plaisir qui naît de la répétition. Le film paroxystique mêle histoire d’amour et film d’horreur : qui, de la frayeur ou du plaisir, triomphera ?

Dans son dernier texte, intitulé Bambi & co, Olivia Rosenthal gratte la couverture douceâtre de deux dessins animés, Bambi et Le livre de la jungle pour montrer comme on ment aux enfants (et aux adultes), comment les fables autour de la descendance et de l’héritage ne sont que des écrans dissimulant une réalité sociale bien plus ambiguë que promise. Il est question des petits Bambi et Mowgli, qui, chacun à leur manière, sont abandonnés à leur destin et livrés au monde hostile et parfois menaçant, sans parenté et parentalité où se réfugier. Ce texte, autour de la figure du faon célèbre, n’est pas sans rappeler Que font les rennes après Noël ?, un roman sur la domestication dans lequel Olivia Rosenthal faisait se croiser et dialoguer êtres humains et animaux.

La question de la famille – de la construction de la famille – est examinée en profondeur dans Toutes les femmes sont des aliens. N’ayant pas peur des anachronismes, elle invente au petit Mowgli du Livre de la jungle une vie d’enfant élevé dans une famille homoparentale, décortique comment le modèle de la famille traditionnelle américaine vole en éclat dans Les oiseaux, et s’interroge sur ce qui fait la maternité et la puissance des femmes dans la tétralogie des Alien.

Avec un humour noir, parfois grinçant, qui traverse ses récits depuis un certain temps, Olivia Rosenthal signe un livre très personnel. La douleur, la souffrance, le mal sont tournés en dérision de manière tragique, parfois ironique. Évoquant Bambi, son premier traumatisme, elle écrit ainsi quelques passages savoureux sur le contexte du dessin animé, sur cette forêt où prend place l’histoire : « Il faut dire, 1942, ce n’est pas une bonne date pour choisir une forêt noire comme décor exclusif d’une histoire de biches. La forêt n’est pas un lieu propice à la distraction, c’est dans la forêt qu’ont lieu les pires exactions surtout dans ces forêts où les chênes, les sapins et les bouleaux alternent ».

L’écriture, toujours sur la corde raide, oscille entre réflexion et émotion. Parler des films fondateurs, expliquer en quoi l’art nous surprend et nous cueille au moment où l’on s’y attend le moins, c’est parler de soi. Le cinéma est un lieu de mémoire où se joue le roman intérieur. Toutes les femmes sont des aliens s’ouvre sur cette affirmation : il faut toujours connaître la fin pour pouvoir raconter une histoire. Usant avec finesse et fantaisie de la répétition, maniant le rythme avec ardeur, Olivia Rosenthal nous raconte trois histoires que l’on connaît par cœur mais qui nous étonnent à nouveau, comme si on ne les avait jamais entendues.


Photo à la une : © Alph. B. Seny

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