J’ai rencontré Pierre Pachet assez tard dans ma vie et dans la sienne, d’abord à propos du poète Joë Bousquet dans le cadre de son séminaire sur Simone Weil, puis au hasard de réunions amicales, de soirées au Bruit du Temps, d’un colloque ou même, la dernière fois, d’un trajet dans le bus 47 entre Beaubourg et Cardinal Lemoine. Sans bien le connaître personnellement, ma sympathie à son égard était forte. J’aimais ses livres, ce qui est la manière peut-être la plus juste de connaître un auteur. J’aimais son visage dont une de ses amies parisiennes avait dit (citée par lui) qu’il ressemblait à une statue de l’Île de Pâques – un visage buriné, marqué par une vie sans ménagement. Il avait la littérature chevillée au corps, je veux dire par là qu’il savait analyser une œuvre et en transmettre la passion d’une manière tout à fait libre et souvent surprenante, mais aussi, comme ce fut le cas lors d’un colloque sur Tolstoï à la Bibliothèque de France, qu’il était capable de piquer une saine colère lorsqu’il estimait qu’une trahison de sens se profilait.
L’intime, chez lui, avait toujours sa place, même dans le politique qui le passionnait. En témoigne son dernier livre, L’âme bridée, concernant la Chine, un pays pour lequel il éprouvait une intense curiosité politique et une fascination amoureuse et critique. Il était en quête de l’âme de la Chine, cet impondérable qui subsiste en dépit de l’oppression étatique et des innombrables empêchements pesant sur les individus. Il y mêlait des observations, des promenades au fil des rues, des rencontres avec des artistes, des écrivains et des étudiants, et les réactions d’un corps, le sien, qu’il voyait fléchir inexorablement. Du même regard intrigué, curieux, lucide, Pierre Pachet observait la Chine et sa propre détérioration physique (très peu visible, au demeurant). Il se demandait comment subsiste ce fil ténu qui relie le corps à l’âme lorsque le corps devient un joug. D’une âme débridée, il s’attelait à ce mystère.