Un conscrit de 1813

Armand Swanton : il va sans dire que personne ne connaît cet homme, un de ces authentiques « inconnus de l’histoire » dont la période napoléonienne a été grande pourvoyeuse. Or il a raconté sa captivité en Courlande en 1813 car il fut fait prisonnier des Russes après la bataille de Bautzen, très loin de Moscou.


Armand Swanton, Une année de captivité en Courlande, Relation inédite d’un officier français prisonnier de guerre des Russes (Août 1813 – Novembre 1814). Editions Les temps neufs, collection « Leurs vingt ans »,128 p., 15€.


Ce manuscrit inaugure une collection que Pierre Boudrot veut consacrer à des textes inconnus de jeunes gens du passé, et c’est lui qui a lissé le manuscrit et l’a rendu lisible, parfois un peu trop, jusqu’à rétablir de concordances de temps que l’auteur n’administrait qu’à sa fantaisie car ses origines et son propre passage par l’Irlande le rendaient plus polyglotte que grammairien. De précieuses cartes, issues du manuscrit original, éclairent utilement cette aventure.

Il faut saluer aussi l’enquête archivistique adjacente. Le personnage dit vrai. Ses états de service concordent avec son récit. Après 1815, il a été reversé dans la garde-nationale du Gard et a fini en gratte-papier de l’armée entre Gap et Sisteron.

Le jeune homme de l’histoire a consigné son affaire dès son retour et sans projet éditorial. Il livre une réalité de la guerre et des mondes traversés qui saisit le lecteur. Ce sous-lieutenant de 21 ans, lui-même fils d’officier, parle tel un conscrit de 1813, avec spontanéité, l’orgueil de caste en sus. Il signale la brutalité de la guerre, la blessure, la fièvre, un hôpital. Toujours laconique, il constate sans plus la violence et la mort. La chance tient à des rencontres bénéfiques et à la résistance exceptionnelle des individus qui, mal nourris, marchant dans le froid et la neige, parfois sans chaussures, finissent le corps couvert de fistules. Après quatre mois de fièvre dont  deux de vie grabataire, juste mentionnés, le jeune homme qui peut se promener dans sa chambre se borne à constater comment la neige a totalement masqué le paysage, ce qui l’étonne.

Des pays traversés, la Pologne qui n’existe déjà plus, on ne saisit que l’immense misère, et on entend parler de chapardage et des réactions parfois hostiles car les armées françaises n’avaient précédemment laissé que des désirs de vengeance. Plus la colonne des prisonniers s’enfonce vers le nord, plus la détresse des hommes se fait sensible, des maisons rares et sans étages, pleines de vermine et toujours, les immenses forêts, noires. Parfois la réquisition loge l’officier chez un hôte généreux : un bon lit est une aubaine, l’élégance d’un repas soigné plus encore et une chemise offerte anonymement, une bénédiction. Ces prisonniers des Russes arrivent au-delà de Koenigsberg et de Memel jusqu’à Mitau, capitale de la Courlande nettement plus favorable aux prisonniers et où œuvrent à leurs besoins des cercles de bienfaisance féminine.

Là le sort de cet officier bascule : il est accueilli dans une famille noble qui a tout du monde rhénan à la Werther : de très nombreux enfants, dont l’une au goût du précepteur prisonnier et commensal. Ce baron balte, hôte lettré et endetté appartient pleinement au monde cosmopolite de l’Europe néo-classique. Le témoignage est précieux et sera désormais versé au dossier des Lumières européennes, d’autant que l’auteur a un style personnel, celui de qui n’a jamais eu l’intention d’écrire « que pour son plaisir », subséquemment, le nôtre.

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