Merci, Pierre !

Dès le milieu des années quatre-vingt, j’eus envie d’ajouter à mon activité de mathématicien celle de vulgarisateur, de « passeur de sciences ». Après quelques expériences dans la presse, à la Cité des sciences, et deux articles isolés dans La Quinzaine littéraire, Pierre Pachet me suggéra de proposer mes services à Maurice Nadeau. Ce fut un tournant dans ma vie. Depuis, elle se partagea (de 1998 à 2015) entre « les deux cultures » chères à C. P. Snow, les mathématiques et la littérature à La Quinzaine littéraire. Je découvris un autre monde : le comité de rédaction, les débats entre ses membres, une riche palette de fortes personnalités sous l’autorité de Maurice Nadeau. Si j’ai pu bénéficier de cette expérience, je le dois à l’amitié de Pierre Pachet, à son rôle de guide discret, critique et généreux.

Dans mes débuts, Pierre me conseilla l’attitude à adopter (« la bonne distance », disait-il) vis-à-vis du patron et critiqua mes projets d’articles. Lors de ces relectures, comme dans la vie, Pachet ne laissait rien passer ! Je connaissais sa passion du mot juste pour l’avoir savourée dans ses essais, elle m’aida à améliorer mes recensions. Peu à peu, j’appris à voler de mes propres ailes, et nous prîmes l’habitude d’une conversation à la sortie du comité, en quelque sorte une séance de décryptage. Je me réjouissais de ces tête-à-tête où Pachet livrait à chaud ses réflexions sur la réunion, se moquant de l’ego surdimensionné de l’un, de l’intervention trop complaisante d’un autre. Il avait la dent dure ! Parfois, au contraire, il évoquait un échange intéressant, ou admirait le charme d’une collaboratrice. Nous parlions aussi de nos passions communes, de politique, ou de notre amour pour la Russie, pour la langue russe, pour la littérature russe. Il s’intéressa avec moi à l’influence d’une secte mystique sur l’école mathématique russe ; à cette occasion, il m’envoya une note détaillée sur l’étymologie du mot « mystique », et me fit découvrir l’œuvre de Simone Weil.

Sa curiosité universelle le conduisit à porter son regard intime sur la science, sur la connaissance et ses limites, par exemple dans son article « Le repos du savant », ou dans sa contribution (« Le double nœud du lexique ») à mon recueil de textes sur les nœuds. Ces derniers temps, nous évoquions le phénomène de l’intuition et de la naissance des idées. Il avait abordé ce thème dans plusieurs essais ; longtemps avant que les chercheurs des neurosciences ne s’en emparent, la question le passionnait.

Je n’oublierai pas que, si certains grands auteurs de la littérature mondiale me sont devenus presque familiers, je le dois au séminaire « Critique sentimentale » que Pierre Pachet et Patrick Hochart ont organisé pendant de nombreuses années.

Beaucoup de souvenirs précieux à préserver et à faire fructifier. Quels mots exprimeraient le mieux cette amitié bienveillante et critique, cette présence à la fois protectrice et sans concession ? Je crois partager avec les rédacteurs de La Quinzaine, avec ses étudiants rencontrés à son séminaire, ses collaborateurs et amis côtoyés aux fêtes chaleureuses que Pierre organisait, le très fort sentiment d’avoir eu la chance de le connaître.


Retrouvez tous les hommages à Pierre Pachet en suivant ce lien.

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