Dans Je n’ai plus peur du noir, le photographe Julien Magre évoque la mort de sa fille Suzanne, atteinte d’une leucémie, à l’âge de sept ans. Un livre d’images sans concession, entre la mémoire et la douleur.
Julien Magre, Je n’ai plus peur du noir. Filigranes et d&b, 110 p., 67 photographies, 30 €
Tout livre de deuil est une construction fragile, un récit que l’on se fait à soi pour contrer un récif devant soi, comme si on voulait toujours remonter et remontrer la vie avant qu’elle ne soit plus jamais comme avant.
Je n’ai plus peur du noir commence par quelques photographies prises par Julien Magre le matin du 25 décembre 2014 en Corrèze. Un cheval figé pour l’éternité, une branche d’arbre qui tombe, mélancolique, sur la terre humide, des bottes de foin qui semblent posées là depuis toujours, épousant l’herbe de leurs cheveux épars. Des images trop fixes, trop immobiles, qu’une brume recouvre presque entièrement, comme un voile la vérité. Le lendemain, les parents de Suzanne apprennent que leur fille est atteinte d’une leucémie. Paysages-présages…
« Je n’ai plus peur du noir » sont des mots de Suzanne et sont les seuls mots d’un livre d’images que père et fille ont voulu « construire » ensemble, pendant les premiers mois de l’année 2015. C’est la deuxième partie, et aussi bien le cœur du livre. Suzanne est saisie dans son quotidien, entourée de ses objets, de ses jouets. Ses gestes sont ceux d’une équilibriste, précis et légers à la fois. La mère, Caroline, tient, retient sa fille avec elle ; sa main est douce, poignante. Louise, l’aînée, a des airs d’ange quand elle se penche sur le visage de sa petite sœur. Son regard hésite entre l’inquiétude et la détresse.
Les photographies de Julien Magre sont belles (quel autre mot employer ?) d’être radicales. En chacune d’elles, l’irrémédiable se lit. Le noir et blanc accentue cette impression, qui les éclaire d’une lumière paradoxale, irréelle. On dirait (comment le formuler autrement ?) que le photographe n’a cessé de regarder la mort qui menace, comme s’il avait fait siens les mots de sa fille : « Je n’ai plus peur du noir ».
Vient alors le troisième moment de l’ouvrage, une suite d’images en couleurs, émouvantes à force d’être étranges. Des portraits de la mère et de Louise alternent avec des paysages lunaires, brûlés presque ; un couple d’arbres gît sur le sol, abandonné à lui-même. Nous sommes quelque part et nulle part. C’est le temps de l’après qui commence, la douleur invisible qui se devine sur les visages, qui lie aussi les corps entre eux, semblables à des ombres qui s’enlacent. La vie affronte le vide en une sorte de chorégraphie muette, ponctuée seulement de quelques regards. Le livre se clôt sur la photographie d’un cercle qui se forme à la surface de l’eau, comme une larme sur une étendue de silence.
Sur la couverture de Je n’ai plus peur du noir figurent les noms du photographe et de sa fille, Suzanne Magre. Le livre se referme sur l’absence, comme un présent désormais. La vie continue s’est arrêtée. La vie continue, mystérieusement, inexorablement.