En 1920, André Breton, jeune homme de vingt-quatre ans, se trouve encore au cœur des épisodes Dada, bien que Les champs magnétiques aient déjà fait vibrer le langage poétique et jeté les bases de ce que sera le surréalisme ; par ailleurs, l’influence ravageuse de Jacques Vaché, beaucoup plus radicale que les scandales plus ou moins mondains concoctés par Tzara, est toujours présente à son esprit. Mais la vie est difficile, et il n’a guère de moyens d’existence alors que sa rencontre récente avec Simone Kahn mène tout droit à un prochain mariage.
André Breton, Lettres à Jacques Doucet (1920-1926). Présentées et éditées par Étienne-Alain Hubert. Gallimard, 272 p., 21 €
Logé à l’hôtel des Écoles, rue Delambre, il prodigue des lectures à haute voix à une Madame Tachard, directrice fortunée de la maison de couture Talbot. Sans doute satisfaite de ses prestations, elle recommande Breton à Jacques Doucet, grand couturier et déjà grand collectionneur, lequel engage le jeune poète au titre de bibliothécaire et conseiller artistique ; de plus, il lui demande de le tenir régulièrement informé des activités intellectuelles du moment par l’envoi, chaque semaine, d’une lettre dûment rétribuée. Voilà qui va mettre « un peu de beurre dans les épinards », selon une expression populaire de jadis, que j’ai personnellement entendu Breton utiliser, un sourire complice aux lèvres, en certaines circonstances !
Avant d’analyser le contenu passionnant des lettres ici réunies, il faut d’abord souligner le ton déférent et l’extrême courtoisie de Breton envers Jacques Doucet, sachant que ce n’est pas là une marque de « soumission » vis-à-vis de quelqu’un qui l’emploie, mais bel et bien un trait de caractère constant chez lui, comme tous ceux qui l’ont côtoyé peuvent en témoigner s’ils sont de bonne foi ; ce qui n’est évidemment pas le cas d’un imbécile pompeux qui, récemment, s’est cru autorisé à traiter Breton de « tortionnaire » dans les colonnes d’un magazine à l’agonie ayant déjà perdu son âme ! Pauvre type…
Ainsi, est-ce sur la base d’une véritable confiance et d’une estime réciproque que le jeune agitateur d’idées va entamer sa collaboration régulière, le 20 décembre 1920, par une lettre dont voici les premières lignes : « Monsieur, puisque vous voulez bien vous intéresser à ma vie, il ne vous déplaira peut-être pas que je trace dans cette première lettre un portrait de moi-même, quitte à me perdre dans les détails ou à trop simplifier. Je ferai en sorte que vous ne m’en gardiez pas rigueur. »
Les exercices assez fréquents d’autoanalyse auxquels André Breton se livrera, tout au long de sa vie, lors des périodes charnières de sa trajectoire, trouvent ici le moyen de se déployer avec envergure ; en effet, la plus grande partie de cette lettre, d’une impitoyable lucidité, lui servira, plus tard, pour composer « La confession dédaigneuse », texte capital ouvrant le recueil Les pas perdus, véritable antichambre au Manifeste du surréalisme de 1924. Toujours dans cette lettre, Breton cite Einstein : « Un événement ne peut être la cause d’un autre que si on peut les réaliser tous deux au même point de l’esprit ». Il se pourrait bien que la fulgurante citation d’Einstein soit à l’origine de la célèbre définition d’un certain point de l’esprit dont Breton pourra maintes fois affirmer que sa détermination constitue l’objectif suprême du surréalisme puisque, dès lors, à ses yeux, les oppositions cessent d’être perçues contradictoirement, ce qui n’entraîne pas mécaniquement leur annulation, en dépit de l’interprétation qui prévaut généralement chez les têtes molles, « percevoir » n’étant pas « annuler » mais se saisir des vertus de chacun des deux pôles d’une alternative afin de les rendre compatibles l’un avec l’autre ; par la suite, il resserrera encore cette idée selon la formule de complémentarité contradictoire, empruntée au Lupasco des origines, avant que celui-ci ne sombre philosophiquement et définitivement en la ridicule compagnie d’un Georges Mathieu, barbouilleur fascistoïde, chantre ébloui de l’Église et de l’Inquisition !
Le 15 janvier 1921, répondant à une sollicitation du couturier, Breton rassemble toutes ses connaissances à propos de Freud, des recherches psychiatriques et de la psychanalyse, exposé qui se retrouvera plus tard dans le Carnet 1920-1921, plus développé sur certains points, comme le note Étienne-Alain Hubert. C’est aussi pour Breton l’occasion d’expliciter dans quel but Soupault et lui se sont lancés dans l’écriture des Champs magnétiques, tentant de prendre de vitesse les mécanismes de la « censure » afin de fournir le « minerai brut« , ce qu’on leur a beaucoup reproché, « sans se douter que notre intention était bien de rendre le métal (que l’art a pour objet de purifier indéfiniment) à son état primitif, de nous borner au travail d’extraction. Nous prétendions ainsi devenir les plus riches. L’esprit critique dont on meurt à notre époque ne joua aucun rôle dans ces recherches ». « L’infortune continue », selon l’expression de Breton, que rencontrera l’écriture automatique au fil du temps trouve ici son explication ; cette manière de faire surgir la poésie d’entre les mots, par-delà les mécanismes de censure à l’œuvre dans l’esprit humain, ne vise pas à produire des « œuvres », mais à fournir des « preuves », ce minerai précieux en son état brut que nos deux aventuriers mirent six jours seulement à extraire !
Que certains, par la suite, aient exploité ce minerai avec une volonté « pohétique » rendant leurs ambitions suspectes de complaisance, c’est probablement ce que Breton désigna par cette infortune continue qu’il ne cessa de déplorer ; cela ne l’empêcha pas de reconnaître, immédiatement, l’authenticité de tel ou tel poète, lorsque les circonstances s’y prêtaient, comme ce fut le cas, les derniers temps, pour Guy Cabanel ou Hervé Delabarre à l’évidente pratique de l’automatisme…
Attardons-nous maintenant sur une série de trois lettres, datées du 25 janvier, du 1er février et du 9 février 1921, qui montrent combien Breton, du haut de ses vingt-cinq ans tout frais, loin de « corriger » une attitude intellectuelle semblant déranger l’aimable couturier, va déployer au contraire toutes les armes de ses intimes convictions afin de ne laisser nulle équivoque s’installer entre eux. Ce n’est évidemment pas là l’attitude d’un « employé », voire d’un courtisan !
Ainsi, le 25 janvier, suite à des observations de Doucet portant certainement sur la lettre du 15, Breton attaque-t-il comme suit : « Monsieur, je n’ai pas conscience de vous avoir écrit une lettre qui fût pour moi un pensum. Si je vous ai paru ennuyeux, la faute peut en être au sujet dont vous m’aviez demandé de vous entretenir. Je ne suis pas responsable de toute cette lourdeur et Freud doit partager mes torts. Je comprends que tout cela ne soit pas de votre goût ». Plus loin, en guise de conclusion, il ajoute : « Dois-je continuer à vous écrire ? J’attendrai que vous m’ayez fait connaître votre plaisir. »
Le 1er février, après une lettre en retour du couturier, Breton déclare : « Monsieur, je vous remercie d’avoir mis cette animation soudaine dans nos rapports. J’aime fort les complications, si vos paroles, je l’avoue, m’avaient d’abord piqué au vif. Je me suis plu déjà à dire que je ne croyais pas à la rencontre extraordinaire de deux individus ni d’un individu avec celui qu’il a cessé d’être, mais seulement à une série de malentendus acceptables, en dehors d’un petit nombre de lieux communs. Aussi je ne m’inquiète de rien moins que de nos divergences… ». Ce qui suit est un moment particulièrement riche en réflexions décisives sur une certaine conception de l’art au cours duquel Breton va développer longuement des idées sensiblement différentes de celles de son « bienfaiteur » : « Vous souhaiteriez me voir plus épris d’art et moi je ne cherche qu’à combattre l’idée fixe […] Il faut savoir que le dernier mot de Rimbaud a été ‟L’art est une sottise”. Ce mot sera toujours pour moi d’une plus grande portée que tous les poèmes de Rimbaud réunis […] J’espère, Monsieur, avoir répondu à vos questions… ». On voit que le jeune poète ne s’embarrasse pas de ces « précautions oratoires » qui font le bonheur des salons littéraires, artistiques et mondains où l’on préfère s’entretenir du temps qu’il fait en compagnie de ses « semblables », et où l’on n’envisage le rôle de la peinture qu’en fonction du plaisir des yeux qu’elle se doit de procurer à tout être bien éduqué !
Dans sa lettre du 9 février, Breton commence par remettre les rapports dans le bon sens : « Permettez-moi de vous dire que j’ai été heureux d’avoir avec vous cette conversation et que l’amitié que vous m’avez si simplement offerte m’est de plus en plus précieuse. Je crois aussi que vous nourrissez moins de préventions à mon égard ». Tout le reste de cette longue lettre sera consacré à une analyse particulièrement riche de ce qu’exprime l’Umour selon Jacques Vaché, « qui mérite de ne pas être confondu avec cette sorte de voltairianisme qui me fait horreur […] L’Umour résulte pour moi d’une lutte entre la faculté de s’émouvoir et certains éléments hautains […] À cet égard Ducasse me donne toute satisfaction : les mesures qu’il a prises pour sauvegarder sa dignité, éclipse presque totale de l’homme devant l’œuvre, mépris absolu du rôle public, haine de l’asservissement, ne me laissent point à désirer. Pour moi, il est temps que l’homme cède la place à son propre héros ».
Plus loin, c’est au critérium « humain » qu’il s’attaque, nouvelle duperie dont un certain traditionalisme étroit serait la dernière citadelle : « Il n’y a pas de degré dans ‟l’humanité” ou bien l’œuvre d’un Rimbaud serait inférieure à celle d’un chanteur montmartrois […] Au reste, n’importe quelle action est exemplaire et échapper, si peu que ce soit, à la règle psychologique équivaut à inventer de nouvelles manières de sentir […] Le sens n’a pas à être inclus dans une œuvre, c’est à l’œuvre de prendre un sens par rapport à ce qui l’entoure […] C’est ici que la poésie proprement dite donne la main à la philosophie ».
N’oublions pas que nous ne sommes toujours qu’en 1921 et qu’à l’évidence les lettres hebdomadaires adressées par Breton à Doucet lui ont servi à développer et à affirmer des idées qui, peut-être, n’étaient encore qu’embryonnaires dans son esprit ; à ce titre, elles auraient été le lieu, le laboratoire, l’atelier où se codifient certaines des données fondamentales du surréalisme, telles qu’elles n’apparaîtront au grand jour que trois ans plus tard dans le premier Manifeste.
Cependant, après avoir mis l’accent sur les trois lettres qui me semblent être plus particulièrement représentatives de ce qui se passe de fondamental à la faveur de cette correspondance – rétribuée, ne l’oublions pas car cet aspect des choses, loin d’être secondaire, deviendra même essentiel un peu plus tard, quand Doucet, dans un geste d’une grande générosité, doublera d’un coup le montant alloué à Breton, afin de lui faciliter son mariage avec Simone Kahn qui, issue d’une famille « aisée », voyait ses parents renâcler devant un futur compagnon sans revenus suffisants à leurs yeux –, il ne faudrait pas s’attarder sur chacune des autres, même si la plupart le mériteraient grandement, ce serait me lancer dans un véritable essai parallèle ! En revanche, il convient maintenant d’insister sur les autres aspects de la tâche demandée à Breton, à savoir ses fonctions de bibliothécaire et de conseiller artistique où, là encore, il se montrera d’une clairvoyance et d’une lucidité phénoménales, compte tenu de l’époque, du milieu, et de son âge ; mais la poésie et la révolte guidaient ses pas, qui n’étaient pas perdus pour tout le monde !
Concernant la bibliothèque dont l’enrichissement lui est confié, en amorce d’une série de livres qu’il proposera plus tard, avec la complicité d’Aragon sur ce point, le 11 avril 1921 Breton se lance dans un vibrant éloge de Maurice Barrès : « Il m’a appris à placer plus haut mon jugement qu’on ne le fait en général, à ne pas accorder à l’action d’importance journalière […] Il y a, dans les premiers livres de Barrès, un tel défi porté à l’opinion que nulle injure venant d’elle ne saurait plus atteindre leur auteur […] La langue de Barrès a pour nous tant de séduction qu’elle suffirait à nous le rendre cher » ; suit une liste de huit de ses livres que Breton considère comme les plus importants, dont Du sang, de la volupté et de la mort.
Un mois plus tard, le 13 mai, dans la salle des sociétés savantes, s’ouvrait la « Mise en accusation et jugement de Maurice Barrès par Dada », tribunal présidé par André Breton, lequel avait, en outre, rédigé les réquisitions : Barrès était poursuivi pour le crime d’atteinte à la sûreté de l’esprit et trahison des idées de sa jeunesse ! En fait, ce revirement apparent est dû au vif débat que Breton se pose à lui-même, celui de la responsabilité de l’écrivain devant ses lecteurs, problème que Dada évacue d’ordinaire sans aucun scrupule, avec force gesticulations. Ce procès est donc loin de l’esprit du dadaïsme, dans la mesure où il introduit une question éthique en lieu et place de la simple dimension scandaleuse si chère à Tzara. Sans doute peut-on estimer que, ce jour-là, c’est à une extinction des feux du dadaïsme parisien qu’on assiste, ce qui est potentiellement déjà le surréalisme ne demandant, dès lors, qu’à s’affirmer.
Mais venons-en à la liste des auteurs, et des ouvrages, qui a d’abord pour but de compléter les collections antérieures qu’André Suarès avait constituées, tout en s’appuyant sur un seul critérium : ce qui a contribué à « la formation de la mentalité poétique de notre génération », le « nous » correspondant ici à Breton et Aragon, complice en la circonstance ; ce dernier précisera un jour qu’il s’agissait, de plus, de mettre en évidence les livres qu’Isidore Ducasse avait pu lire. C’est par un document de février 1922 que nous commencerons. Vaste programme, où l’on retrouve philosophes et scientifiques – Kant, Poincaré, Freud, Einstein, Hegel, Fichte, Sade, Lulle, Swedenborg, Pascal, La Rochefoucauld, Leibniz –, où apparaissent Restif de la Bretonne, Proudhon, Lacenaire, Marat, Rabbe, Eugène Sue et Ponson du Terrail, dont le héros, Rocambole, attire cette remarque provocatrice, et « coup de chapeau » à la fois à la verve populaire : « L’importance prise par ce dernier personnage dans la littérature moderne est significative : le caractère non littéraire, d’ailleurs à notre avis insoutenable, de cette œuvre, ne peut prévaloir pour la faire écarter de notre choix sur le succès prodigieux de ce type, qui fait peu à peu oublier le Christ et Napoléon ». Bien sûr, Mallarmé, Villiers de L’Isle-Adam, Jarry, Apollinaire ou Jacques Vaché répondent à l’appel, et beaucoup d’autres qui feront l’objet d’une seconde liste, en octobre, d’où sont délibérément écartés « les poètes aujourd’hui consacrés […] qui ne participent pas du mouvement moderne » : voici donc Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Germain Nouveau, Cendrars, Reverdy, Tzara, Picabia, Éluard, Soupault, Whitman, Desnos et Péret.
Les manuscrits rares sont également recherchés par le collectionneur et, le 4 août 1924, Breton communique à Doucet les résultats de la visite de Maurice Heine ; il semblerait qu’il s’agisse là d’une première rencontre avec le créateur de la « Société du Roman philosophique » dont le but est de publier des éditions critiques et strictement privées de Sade ; or Heine ne propose rien moins que le légendaire manuscrit en rouleau des 120 journées de Sodome, retrouvé en Allemagne, pour la somme de quarante mille francs. Breton ajoute dans sa lettre que ce texte « commande la plus grande partie de l’œuvre de Sade et le manuscrit dont il s’agit présente un intérêt historique exceptionnel ». Toutefois, Heine, s’attendant à une réponse négative, prend d’autres dispositions ; effectivement, Doucet renonce, en dépit de l’insistance de Breton, et le trésor sera acheté en 1929 par Charles et Marie-Laure de Noailles, avant de connaître d’autres pérégrinations au fil du temps.
Avant de clore cet article qui pourrait encore développer nombre de considérations sur l’importance de cette correspondance – ce que le lecteur ne manquera pas de découvrir par lui-même ! –, il faut enfin en venir aux conseils prodigués par Breton quant à l’acquisition d’œuvres artistiques contemporaines. Et là, il faut bien crier au génie visionnaire du poète qui, d’emblée, soulignera l’importance de créateurs comme Marcel Duchamp et Pablo Picasso.
Duchamp, en premier lieu. Le 12 août 1922, Breton écrit : « Toute mon activité se concentre sur ce problème : un nouvel esprit se prépare, quel sera-t-il et de quoi vraisemblablement doit-il participer ? […] Il se pourrait que l’on redécouvrît […] l’homme de qui je serais le plus disposé à attendre quelque chose […], l’homme qui s’est tenu seul à l’écart du public et qui n’a voulu être jusqu’ici le héros d’aucune aventure, si brillante qu’elle soit (cubisme, dadaïsme), l’esprit qu’on trouve à l’origine de tous les mouvements modernes et que ces différents mouvements n’ont nullement compromis : Marcel Duchamp. Sa pensée m’est un refuge ». Jacques Doucet finira par acquérir, l’année suivante, une œuvre intitulée Glissière contenant un moulin à eau (en métaux voisins), à la grande satisfaction de Breton, qui lui écrira : « Vous savez à quel point je désirais que votre collection s’accrût d’une œuvre de Duchamp ; celle-ci va combler la principale lacune que cette collection présentait à mon sens. »
Concernant Picasso, c’est autour des Demoiselles d’Avignon que se polarisent les conseils de Breton. Dès 1921, il passe à l’offensive en soulignant qu’il s’agit là « de l’œuvre la plus marquante des deux ou trois plus grands artistes d’aujourd’hui ». En 1923, il insiste : « C’est là une œuvre qui dépasse pour moi singulièrement la peinture, c’est le théâtre de tout ce qui se passe depuis cinquante ans, c’est le mur devant lequel sont passés Rimbaud, Lautréamont, Jarry, Apollinaire, et tous ceux que nous aimons encore ». En décembre 1924, le 2, Doucet ayant acquis Les demoiselles, Breton se réjouit et proclame : « On ne songe jamais assez que Picasso est le seul génie authentique de notre époque, et un artiste comme il n’en a jamais existé, sinon peut-être dans l’antiquité ». Le 12, au comble de l’exaltation, il ajoute : « Je ne puis m’empêcher de voir dans “Les demoiselles d’Avignon” l’événement capital du début du XXème siècle. Voilà le tableau qu’on promènerait, comme autrefois la Vierge de Cimabue, à travers les rues de notre capitale, si le scepticisme ne l’emportait pas sur les grandes vertus particulières par lesquelles notre temps accepte d’être, malgré tout […] “Les Demoiselles d’Avignon” défient l’analyse et les lois de leur vaste composition ne sont aucunement formulables ». Etc.
Pour terminer sur une note d’agréable subversion, voici ce que Breton écrit, le 4 septembre 1926, à son aimable correspondant, à propos de quelques jours de vacances : « À Gavarnie, nous étions aux prises avec les pèlerins de Lourdes, gens extrêmement mal élevés et dont l’affluence à cette époque est telle que les glaciers apparaissent à longue distance souillés de leurs pas. Ici, vous n’ignorez certainement pas quelle espèce de foule hante la contrée à cinquante kilomètres à la ronde et quels sentiments m’animent à l’égard de cette foule. En arrivant à Biarritz, il faut vraiment laisser toute espérance ».
Notons encore que l’appareil critique et les notes de bas de page dus à Étienne-Alain Hubert sont particulièrement riches, voire indispensables, afin de remettre en perspective tout ce qui se passe pendant ce temps-là dans la coulisse ; ce qui n’était pas le cas du précédent volume consacré à la correspondance entre Breton et Simone Kahn, Jean-Michel Goutier ayant laissé dans l’ombre le filigrane de la vie qui court, et des événements qui surgissent durant la période concernée, laquelle se confond souvent avec celle qui nous a occupé ce jour, heureusement.