Qu’est-ce que la Russie ?

C’est une question presque métaphysique, car la géographie ne peut vraiment répondre, et elle perturbe toujours l’Histoire. « La Russie est au centre de l’Occident et de l’Orient, elle unit deux mondes. » (Nicolas Berdiaev) Elle lutte aussi parfois contre eux. Alors rien n’est simple. Et la Russie même n’est rien moins que simple à ses propres yeux.


L’Occident vu de Russie : Anthologie de la pensée russe de Karamzine à Poutine. Choix, présentations et traductions de Michel Niqueux. Préface de Georges Nivat. Institut d’Études Slaves, 790 p., 37,90 €


D’emblée, il faut souligner et saluer l’exceptionnelle richesse de cette Anthologie de la pensée russe, composée par Michel Niqueux. Un remarquable et colossal travail de recherche, compilation et analyse, tout en nuances : du marbre et de la dentelle. On suit pas à pas les différents courants et les auteurs présentés avec minutie. Même si les noms peuvent être connus, les textes sont la plupart inédits en français ou d’accès rare. Une riche iconographie permet au lecteur de mettre un visage sur les mots et la pensée, et de rappeler le temps, les siècles que celle-ci franchit jusqu’à nous. Tout se présente avec jugement, sensibilité, pénétration, équilibre, respect de la parole des uns et des autres, en un bain de démocratie. Tout y est alors défi : l’esprit de démocratie peut-il saisir la Russie ? Il le faut pourtant.

À quoi appartient la Russie ? La géographie n’y peut mais. Elle ne saurait relever cet étrange sixième continent aux fesses bien calées sur la vieille chaise eurasiatique. L’Histoire, de son côté, nous en raconte tant qu’on n’y croit plus. La Russie vit deux mondes, elle ne fait pas que les unir, les réunir comme en un bouquet : on voudrait bien le saisir, on oublie les épines. Et il y a le sang versé, fluide lourd des siècles.

Russie michel niqueux

La bataille de la Moskova, le 7 septembre 1812

Les Tatares ou l’Orient à l’assaut de l’Occident. Napoléon Bonaparte et son chemin inverse : l’Occident sus à l’Orient ; l’Égypte pour commencer, puis la campagne de Russie : les neiges de celle-ci et les sables de celle-là apparaissent alors d’une même fratrie orientale. Plus près de nous, l’Allemagne nazie, ni occidentale ni orientale mais désaxée, ennemie de toute culture et de toute orientation humaine : à l’assaut de la Russie, elle y trouve son naufrage.

Eh bien, qu’est-ce que la Russie dans tout cela ? Sur la carte de nos consciences – chaque conscience portant sa géographie –, où est-elle ? « Le maillon qui relie l’Orient à l’Occident » (Berdiaev) est toujours là. Pétersbourg européenne, hellène et italienne (l’architecture) est toujours là, mère de Mandelstam. Et combien la Moscou « asiatique, échevelée », mère de Tsvetaeva. Mais Mandelstam dirige aussi son regard vers l’Arménie aux effluves méditerranéens et asiatiques, et Tsvetaeva ne perd certainement pas de vue Edmond Rostand et Lindbergh. Ainsi, la Russie se balance entre l’Occident rationnel et l’Orient des profondeurs de l’esprit, entre claire connaissance et lumineuse inconnaissance. Quelle importance d’ailleurs ? Vent d’Est et vent d’Ouest étarquent toutes les voiles qui se présentent. On n’avance pas moins. Pour autant, on n’est pas mieux avancé. Qu’est-ce que la Russie ? Autant dire : qui sommes-nous ? Par rapport à cet axe comme sorti, retiré, extirpé de l’Europe à laquelle pourtant il a le droit d’appartenir ? Si l’on examine une carte, la Russie commence pratiquement au centre même d’une Europe qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural, quand la France en serait presque sortie si ne l’avait retenue l’océan.

Peut-être un poème de Vladimir Soloviov (1853-1900) pourra-t-il nous aider ? Il est adressé à un autre poète, Afanassi Fet. Michel Niqueux en signale les trois premiers vers et on y est allé voir un peu plus près :

« Sur tes ailes de cygne,

La double limite de l’espace et des siècles,

Tu l’as franchie et tu as compris

Le chant vivant des poètes qui se sont tus.

Ton harmonieux génie attire

Sur nos rivages les dieux étrangers.

Sous les rayons des chants ressuscités

Ont fondu les neiges sarmates.

Un splendide laurier dans la steppe sauvage

S’est levé depuis toi et tout son arbre a bruit,

Et l’aigle de la poésie lui-même,

Vers toi depuis les hauteurs, aura pris son vol. » [1]

C’est d’octobre 1884. Trois ans plus tôt, le tsar libérateur (Alexandre II) a été assassiné : la Russie des réformes est entrée en agonie. Les débats, les affrontements intellectuels sont vifs. Il y a deux pensées, deux camps : ils ne sont pas face à face, ils s’interpénètrent, ils se partagent le boire et le manger, ils s’invectivent et se serrent. Ils ne s’ignorent jamais : l’autre est toujours leur hôte. Un vieux débat comme l’amour : plus il vieillit, plus il constelle de brasillements et devient vivant et chaud. Une telle vie est infinie. La querelle interne est la poussière domestique des nations. Et dans la querelle qui agite, au XIXe siècle, les milieux intellectuels de la Russie, Soloviov ne rêve pas, il ne s’embarque pas pour une enchanteresse Cythère : il lutte pour une union de la steppe slavo-sarmate et du laurier grec, en d’autres termes pour une résolution de la problématique slavophilisme/occidentalisme. Et plus largement pour une question qui ne doit jamais nous rester étrangère, et aujourd’hui ce rappel est salutaire, aussi ce ne saurait être une incise, et cela monte haut et fort : « La seule chose qui empêche l’accomplissement de notre devoir moral est un pseudo-patriotisme irraisonné qui sous prétexte d’aimer le peuple souhaite le maintenir sur la voie de l’égoïsme national, c’est-à-dire lui souhaite du mal et sa perte. » On ne peut mieux dire. C’est toujours la question de l’autre. On en fait une peur qui conduit à la destruction de soi. Dans le cas qui nous intéresse, la Russie, cette question recouvre aussi la querelle entre slavophilisme et occidentalisme.

Le sémioticien de la culture Boris Ouspenski a bien défini le problème en le rapportant à son origine historique concrète (le règne de Pierre le Grand : 1682-1725) et non à son premier développement intellectuel, intervenu beaucoup plus tard avec un autre Pierre (décidément, il n’y a pas de hasard) : Tchaadaev (1794-1856). Ouspenski écrit : « Selon l’expression imagée de Pouchkine (qui remonte à Algarotti), Pierre a percé une fenêtre sur l’Europe. En poursuivant cette image, je dirais que pour percer une fenêtre, Pierre devait ériger un mur séparant la Russie de l’Europe. » La fenêtre s’ouvre sur l’Occident. Le mur qui l’encadre protège l’Orient slave. Pierre a joué gros et dangereusement ; l’autre Pierre (Tchaadaev), en quelque sorte, le lui rappelle : « Du jour où nous avons prononcé le mot d’Occident par rapport à nous, nous étions perdus. »

C’est dans les années 1830 que Tchaadaev lance sa bombe intellectuelle. Et quelle vigueur s’entend ici : « C’est une très belle chose que l’amour de la patrie ; mais il y a quelque chose de mieux que cela, c’est l’amour de la vérité. » Le tsar le fait déclarer fou et assigner à résidence. Mais le mal, pour le bien de la Russie et pour les décennies et les siècles qui suivent (le XXe et le nôtre), est heureusement fait. La langue de Tchaadaev, pour reprendre le psaume, a été « le roseau d’un scribe agile ».

Et voilà la Russie sur son cheval de bronze, fouetté par ce singulier roseau, et elle vient jusqu’à nous, jusqu’à aujourd’hui même, ses deux icônes à la main si l’on peut dire : européenne et asiatique. Pourquoi s’étonner ? Le cheval est français, la statue équestre de Pierre le Grand étant l’œuvre de Falconet.

La question de la différence et de la différenciation culturelle de la Russie vis-à-vis de l’Europe n’a jamais perdu tous ses droits, même sous le bolchevisme, celui-ci comme asiatique tout au moins au départ : c’est le déferlement des Scythes que chante Alexandre Blok. Et puis Moscou est redevenue capitale, mais les va-et-vient, les valses-hésitations, se font vite sentir. On peut même dire que cet asiatisme est à l’origine déjà bien mâtiné : après tout, c’est à Pétrograd que la révolution a éclaté. Fenêtre et mur voleraient-ils ensemble en éclats ? Mais, finalement, l’URSS va présenter un torse ossète, barbare, plutôt que la figure sympathique et l’embonpoint d’un bourgeois allemand londonien, flanqué de sa femme, de ses livres et de ses filles. Blok ne s’était pas trompé : Scythes ou Douze, les uns comme les autres sont bien asiatiques.

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L’attaque du carré des décabristes par le régiment des gardes à cheval, le 14 décembre 1825, à Saint-Petersbourg

Toujours est-il que c’est au XIXe siècle, sous Nicolas Ier, après le choc décabriste (décembre 1825 : soulèvement d’officiers et de jeunes nobles révolutionnaires à l’avènement du nouveau tsar), que la pensée russe se scinde en deux courants. Pour les slavophiles, la Russie a son propre destin, sa propre voie historique et politique de développement, à l’écart de l’Europe et de son évolution libérale (révolutions de 1830 et 1848), à plus forte raison à l’écart de toute tentative radicale (Communes de Paris et de Lyon). Le chemin politique des slavophiles passe par le mir (forme de propriété communale de la terre régulièrement redistribuée) et le sens communautaire du peuple russe. Ivan Kiréievski, Alexis Khomiakov, Iouri Samarine, furent les premiers à développer la pensée slavophile que d’autres (Constantin et Ivan Aksakov, Nicolas Strakhov…) reprendront, suivront, adapteront, modifieront, étendront. Des romanciers, des poètes (Alexis Khomiakov lui-même était poète) les rejoignent : Viazemski, Tiouttchev, Dostoïevski… L’orthodoxie est au centre de cette pensée qui veut assumer l’héritage de Byzance.

Pour autant, les slavophiles ne veulent pas isoler la Russie, ils la caractérisent comme en marche spirituelle, appelée à entraîner l’Europe, sinon le reste du monde : en un mot, elle aurait une vocation messianique. Mais ils lui donnent une image mouvante, avec tout ce que cela transmet d’incertitude.

En face se situent les occidentalistes sécularisés ou non (leur pensée religieuse se rapprochant alors de Rome : c’est le cas de Pierre Tchaadaev et de Vladimir Soloviov). Ils mesurent leur pays à l’aune de l’Europe occidentale (Allemagne, France et Angleterre au XIXe siècle) et de ses évolutions (institutions, organisation sociale, économie, techniques…). Si l’occidentalisme a trouvé une première impulsion avec les réformes lancées par Pierre le Grand, il s’est vu renforcé par le contact direct avec la France et l’entrée (1814) et le séjour (1815-1817) des troupes russes à Paris. De retour au pays, les officiers décabristes avaient leurs bissacs remplis d’idées libérales.

Les occidentalistes font de la Russie telle que la maintient l’autocratie, et a fortiori de l’autocratie même, un obstacle, là où les slavophiles voient la singularité d’une chance et un atout. Comme pour les Slavophiles, l’occidentalisme va se partager au XIXe siècle en plusieurs courants, plus ou moins radicaux. Il se manifeste dans la critique littéraire (Biélinski, A. Dobrolioubov, Pissarev, Tchernychevski…), chez les poètes, les romanciers, mémorialistes, publicistes (Herzen, Tourgueniev…).

Pour Tchernychevski, la Russie est quelque chose d’inanimé en attente de la vie. Il semble à certains occidentalistes que l’Histoire ait écarté ce pays comme une pierre, rendue alors étrangère au chemin où elle se trouvait. À qui est l’Histoire ? Pouchkine écrit : « L’Europe a toujours été à l’égard de la Russie aussi ignorante qu’ingrate. » L’occidentaliste et le slavophile peuvent acquiescer l’un et l’autre. Pouchkine participait des deux.

Les deux pensées se nourrissent d’ailleurs l’une l’autre et se retrouvent souvent en un même auteur. Pour ne prendre qu’un exemple (de taille), il y a ainsi du slavophilisme chez le libéral exilé Alexandre Herzen. Certains auteurs et non des moindres (Constantin Léontiev et surtout Vassili Rozanov) n’hésitent pas à fonder leur pensée sur le paradoxe. Rozanov fait d’ailleurs feu politique et érotique de tout bois : c’est magnifique. En fin de compte, ni slavophile ni occidentaliste, mais pur Rozanov.

Rien n’est simple dans une pensée : elle reçoit tant de ruisseaux d’autres consciences. Elle se nourrit de tant de sucs contraires. Elle se construit aussi avec des matériaux de démolition. Elle est marquée d’invisibles chocs, peinte d’une main qu’on ne remarque même pas. Elle se forme dans les milieux les plus hostiles et la conscience la plus contradictoire. Il lui arrive de surgir là et à l’heure où on ne l’attendait nullement. Et dans une langue qu’on ne pouvait pas soupçonner, tel le français pour certains slavophiles (voir les lettres de Tiouttchev). Tchaadaev écrivait également en français, sa pensée se tournait vers l’Occident : c’est donc naturel. Mais, pour Tiouttchev, il n’y a pas davantage solution de continuité. Il est poète, il sait que rien n’est immolé dans la rupture.

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Alexandre Pouchkine

Au siècle dernier, dans les années soixante et soixante-dix de ce qu’on a appelé la stagnation brejnévienne, l’URSS a vu resurgir la pensée slavophile avec le mouvement des écrivains dits ruralistes (Victor Astafiev, Valentin Raspoutine, Vassili Belov, Boris Mojaev, Sergueï Zalyguine, Evguéni Nossov…). Il serait bon de les relire. La pensée restait donc bien vivante à l’extérieur du cercueil de verre de Lénine, tandis qu’un institut s’était perdu à disséquer et étudier le cerveau devenu inutile de celui-ci.

Pareillement, tout à la fin de l’ère Brejnev (1982) resurgissaient à la surprise générale (la censure a ses heureuses cuites) des œuvres choisies de Nikolaï Fiodorov (1828-1903), fils d’un prince et d’une serve, quelque peu héritier de la renaissance slavophile, étonnant et merveilleux philosophe solitaire (mort dans un hôpital pour indigents) à la recherche d’une « résurrection (voskressenié) » des ancêtres et d’un état (il ne faut surtout pas y mettre de majuscule) « où le loup paîtra avec l’agneau, où le Slave sera le frère de l’Allemand »… Et aujourd’hui on a envie de poursuivre : l’Européen celui du Syrien, de l’Érythréen, du Soudanais… En un mot : de l’Autre.

La perestroïka a ranimé la concurrence des deux pensées ; Mikaïl Gorbatchev, inclinant pour une Russie résolument tournée vers l’Europe (« notre maison commune »), avait cependant appelé à son conseil présidentiel un slavophile de marque : Valentin Raspoutine.

La critique slavophile de l’Occident est une critique occidentalisée dans ses méthodes; de plus, elle sait se nourrir de courants occidentaux (aujourd’hui par exemple, l’écologie). Le dynamisme russe et slavophile s’est toujours révélé (comme chez Dostoïevski, qui a voyagé et écrit en Europe) au contact et au frottement de l’Occident.

L’occidentalisme de son côté se voit obligé de reconnaître cette spécificité culturelle et historique slave qu’il cherche à réduire : ne serait-ce pas d’ailleurs la stimuler ? Tchaadaev lui-même finit par évoluer vers la slavophilie.

Il faut retenir que l’idéologie libérale bourgeoise, telle qu’elle existe et se développe en Europe occidentale, quoique bien bousculée maintenant, n’a, en fin de compte, ni influence profonde, ni tradition dûment reconnue en Russie. Il suffit de rappeler la position de Vladimir Poutine sur les droits de l’homme qu’il entend subordonner aux critères de l’Église orthodoxe (en plus des siens propres, si l’on peut dire). L’intervention du métropolite Cyrille en 2006 sur le thème « La foi. L’homme. La terre. La mission de la Russie au XXIe siècle », est à cet égard pleine d’enseignements. Aux droits de l’homme on veut mettre une coiffe religieuse. Elle a tout l’air d’un éteignoir.

C’est que l’orientation impulsée par Vladimir Poutine éloignerait délibérément la Russie des valeurs européennes et occidentales aujourd’hui mises à mal dans le monde, dans le but de construire et d’affirmer (idéologiquement et politiquement) une « Union eurasienne : Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Arménie, l’Ukraine ayant fait défaut » (Michel Niqueux). Tout cela provient plus ou moins grossièrement de ce qu’on a appelé la pensée eurasienne : initiée dans l’émigration et les années vingt du siècle dernier, par le musicologue et philosophe Pierre Souvtchinski et son ami, le linguiste, ethno-sociologue Nikolaï Troubetskoï, revue plus tard par Lev Goumiliov (1912-1992), le fils d’Anna Akhmatova, philosophe, ethnographe, historien des peuples turkö-mongols, elle se voit aujourd’hui radicalisée pour ne pas dire défigurée (toujours la même chose : le visage d’une pensée entraînant ses caricatures) par Alexandre Douguine (né en 1962), idéologue de l’extrême droite russe, inspirateur et soutien de l’action de Vladimir Poutine. « Alexandre Douguine, écrit Michel Niqueux, est le propagandiste d’une géopolitique antimondialiste, messianique, nourrie d’ésotérisme et de traditionalisme. »

Les premiers Eurasiens se sont plus ou moins rangés aux raisons d’être de l’URSS. Ceux d’aujourd’hui, aux raisons de persister chez Vladimir Poutine. Violence et mouvance…

« La Russie n’est donc pas l’Europe, mais elle est cette certaine Europe qui sera, peut-être, une autre Europe » : paroles énigmatiques de Souvtchinski [2] qui pouvaient avoir leur place dans cette anthologie. Elles résument un insoluble.

Tournée à demi vers l’Europe, la Russie est capable d’absorber ce dont elle a besoin, de s’en pénétrer, de se le rendre propre, de le modifier et de le redéfinir, tout autant qu’elle sait rejeter ce dont elle ne veut pas. Il apparaît de plus en plus que la période communiste bolchevique n’a pas été une parenthèse et n’a pas brisé le développement organique d’un pays qui, en quelque sorte, à travers les violences, retrouve toujours une même image de soi.

La relation de la Russie avec l’Occident a toujours été un lien historiquement complexe d’assimilation/refus, d’acceptation/négation des valeurs européennes occidentales passées au tamis des valeurs russes. C’est ainsi que la Russie retirera toujours à l’Occident le mot d’un avenir qui la concerne seule. Son évolution ayant un caractère sui generis, que craindre si elle change ? Il est vrai qu’il y a pour nous cette perception étrange : la France, c’est l’Hexagone, la Russie, l’étendue sans limites. Elle a quelque chose de ductile. Ce caractère est fortement ressenti par les États de l’Europe de l’Est. Ajouter à cela que cette Russie mouvante procède d’une rupture de l’Histoire (la chute de Constantinople), quand l’Occident, lui, procédait d’une continuité, celle de l’Empire romain, dans le lit duquel est venue coucher la jeune Église catholique y trouvant son latin, mais finissant par y perdre le grec, en conséquence la Russie.


  1. Vladimir Soloviov, Poèmes (en russe), Léningrad, 1974.
  2. Pierre Souvtchinski : « Quatre observations et réflexions sur la Russie » (1982) in (Re)lire Souvtchinski, Éric Humbertclaude éd. (1990). « Il serait bon une fois que quelqu’un rassemble les articles de Pierre Souvtchinski, et les rassemble justement par ordre de préoccupation, et je crois qu’on y verrait non seulement une pensée originale mais une pensée qui a été vraiment très active et qui a pu faire avancer des gens plus qu’ils n’auraient avancé autrement, sans l’aide de cette conscience à côté de vous qui vous aide à prendre conscience de vous-même justement. » (Pierre Boulez, 1982)

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