Courettes, patios, atriums, cloîtres, colonnades…

Axel Hémery, directeur du musée des Augustins, conservateur en chef du Patrimoine, spécialiste de la peinture française du XVIIe siècle, rassemble quatre-vingt-sept peintures de collections publiques et privées, françaises et internationales. Il les commente.


Fenêtres sur cours. Peintures du 16e au 20e siècle. Musée des Augustins de Toulouse. 10 décembre 2016 – 17 avril 2017

Axel Hémery (dir.), Catalogue officiel. Musée des Augustins/Lienart éd., 240 p., 135 ill. coul., 29 €


Se découvrent les atriums de l’Antiquité, les patios, les cloîtres des couvents, les espaces vastes des palais, les cours de fermes, les cours urbaines de quatre siècles. Des peintres célèbres (Hubert Robert, Corot, Boudin, Bonnard…), d’autres à demi oubliés, exposent les cours intérieures, le décor des grands événements ou de la vie privée, les jeux des ombres et de la lumière, la présence entrevue du ciel sombre ou clair, les lieux déserts ou peuplés. Telle cour parisienne est un théâtre de l’Histoire. Ou bien des rencontres amoureuses, des promenades, des méditations se devinent dans les lieux découverts ou clos de bâtiments, rassemblés par Axel Hémery.

Dans certaines sections du parcours scénographique, tu vagabondes et tu songes. Ici, les atriums, les patios, le caravansérail de Trébizonde, la cour d’une maison marocaine, évoquent le péplum et l’orientalisme… Souvent les cloîtres donnent le pittoresque, le mysticisme, la méditation, la mélancolie ; d’ailleurs, le musée des Augustins (fondé en 1793) est hébergé dans un superbe couvent (XIVe et XVe siècles) sur 9 000 m2 avec un cloître intact ; et des peintres pensent à l’existence silencieuse des religieuses ; ou bien l’étrange peintre italien Gianfilippo Usellini (1903-1971) représente en 1936 un parachutiste qui descend au centre d’un cloître ovale. Au XVIIe siècle, Paul Vredeman de Vries (né à Anvers) imagine la splendeur et la sérénité d’immenses colonnades lorsque le roi Salomon accueille la reine de Saba…

Exposition Fenêtres sur cours, Musée des Augustins de Toulouse, jusqu’au 17 avril 2017

Jean-Baptiste Camille Corot (Paris, 1796 – 1875) Cour d’une maison de paysans aux environs de Paris © Paris, musée d’Orsay Photo RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

La cour de la ferme englobe tout ce qui entoure le bâtiment principal et ses dépendances. Ce serait l’air de la campagne, le goût des citadins pour la vie aux champs. Le genre naît dans les Pays-Bas de la Renaissance. Puis les paysagistes du XIXe siècle lui font connaître son heure de gloire. Alexandre-Gabriel Descamps peint une Cour de ferme (1850) : une jeune femme tire d’un puits un seau près de volailles et d’un basset. Vers 1865, Corot montre la Cour d’une maison de paysans aux environs de Paris ; tu vois le bois empilé, des paniers, une charrette de foin, la basse-cour, les activités heureuses des adultes, les enfants. Eugène Boudin (1824-1898) évoque les fonds de jardins, les remises, les arrière-cours nostalgiques. Luc-Olivier Merson peint L’Annonciation (1908) dans un esprit plus panthéiste que dévot ; sur un toit de chaume aux tons fauves, l’ange très coloré se dresse et jette un lys aux pieds de la Vierge. Pierre Bonnard peint La grange (1919) : une fermière assise, deux poules sur la paille dorée, les charrues et les échelles ; la touche libre rayonne.

Les cours sont des lieux de vie et de dialogues. À partir de 1642, le peintre néerlandais Johannes Lingelbach représente Les buveurs devant une auberge italienne ; au lointain, un attelage et des chevaux se dessinent dans la brume de chaleur. Né à Heidelberg, Caspar Netscher peint un Jeune ramoneur buvant près d’un puits (1662). Hortense Lescot séjourne à Rome de 1808 à 1816 ; elle peint Le jeu de la main chaude (1812) : une quinzaine d’hommes et de femmes jouent et s’agitent avec courtoisie dans une loggia ouverte sur un jardin romain, orné de statues. Pierre Duval Le Camus (1790-1854) montre Les cancans chez la portière : les neuf occupants de l’immeuble se rencontrent et bavardent. Claudius Jacquand peint Un soldat soigné par une religieuse dans un cloître (1822) sous le soleil. Ce sont Les convalescents (1861) de Firmin-Girard dans l’immense cour beige d’un hôpital militaire gigantesque et austère après la guerre de Crimée (1854-1855). En associant trois techniques (la détrempe, le pastel, le fusain), Édouard Vuillard regarde un jardin clos dans une maison de campagne normande, trois amis autour d’un thé : Sous les arbres du pavillon rouge (1907).

Exposition Fenêtres sur cours, Musée des Augustins de Toulouse, jusqu’au 17 avril 2017 hémery

Santiago Rusiñol, Le Patio bleu, 1891 © Montserrat, Museu de Montserrat.

Dans cette exposition riche et complexe des Augustins, Axel Hémery étudie les surprises et les métamorphoses des villes à l’époque moderne. Les écrivains et les peintres sont des chroniqueurs. Surgissent l’enchevêtrement de Rome, les bazars du Caire ou d’Istanbul, une vision hivernale de Paris, la construction ou la rénovation des édifices. Hémery cite la description d’une cour du quartier Saint-Denis de Balzac dans César Birotteau (1837) : « Ce monument, malsain, enterré sur ses quatre lignes par de hautes maisons, n’a de vie et de mouvement que pendant le jour, il est le centre des passages obscurs qui s’y donnent des rendez-vous et joignent le quartier des Halles au quartier Saint-Martin par la fameuse rue Quincampoix, sentiers humides… » Ou bien, tu regardes L’intérieur d’une cour avec un porc écorché (1874) de François Bonvin. Au musée Carnavalet, tu perçois la Vue intérieure de l’ancienne Halle au blé (1886) d’Emmanuel Lansyer, les variations chromatiques des maçonneries de brique et de pierre.

Certaines cours étranges semblent les théâtres de l’Histoire. Au XVIIIe siècle, né à Gênes, Alessandro Magnasco (1667-1749) peint dans les années 1740 L’arrivée et l’interrogatoire des galériens dans les prisons de Gênes. Les bourreaux et les victimes, les instruments de torture, les chaînes, la pendaison, les barreaux, les colonnes massives, composent les scènes de terreur. Magnasco est sans doute proche du Piranèse (1720-1778) qui grave les prisons fantastiques (Carceri d’invenzione, 1760) avec les potences, les poulies, les roues, les rites tragiques. Les visions féroces de Magnasco sont voisines des scènes que Sade (1740-1814) va écrire… Créateur très méconnu, Victor-Henri Juglar (1826-1885) peint L’espion (1880). Il décrit l’immense château dégradé de Vendée, occupé par les soldats de la Révolution ; un chouan est arrêté et, simultanément, dans l’embrasure du portail, un autre chouan espionne ; nous sommes proches du roman de Victor Hugo Quatre-vingt-treize (1874). Jules Girardet (1856-1938) met en évidence le courage d’une rebelle dans la cour d’une prison : Louise Michel harangue les communards… Maître de la peinture académique, Tony Robert-Fleury (1837-1911) peint un gigantesque tableau (355 x 490 cm) : Le docteur Pinel libérant les aliénées de la Salpêtrière en 1795 (1876). Dans la cour de l’hôpital de la Salpêtrière, le médecin-chef Philippe Pinel supprime les chaînes et les saignées ; il respecte les patients. Calme, dans une redingote noire, il délivre les femmes malades ; l’une baise la main du médecin ; certaines sont à demi nues ; elles se tordent en des convulsions.

Tu admires quatre toiles extraordinaires du Catalan Santiago Rusiñol (1861-1931) ; il a été un grand peintre, un romancier mélancolique et un dramaturge ; Picasso s’est intéressé à ses tableaux et les a critiqués. Par exemple, Rusiñol représente Le patio bleu (1891) : il choisit la courette d’un bleu intense, « brutal, dit-il, et sans demi-teintes », l’humidité, la fraîcheur. Près d’une corde et des vêtements blancs suspendus, une femme immobile attend, silencieuse.


À la Une : Jodocus Sebastiaen Van den Abeele (Gand, 1797 – 1855), Moines franciscains dans le cloître de Santa Maria d’Aracoeli à Rome, 1842 © Beauvais, MUDO, musée de l’Oise. Photo RMN-Grand Palais/Adrien Didierjean

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