Chronique pré-électorale (3)

« Nous eûmes droit ensuite à des déclinaisons sur ce « corbillard » si utile. »

Jean-Luc Mélenchon, 22 février 2017

Charles Bonnot chronique

Maud Roditi pour EaN

« Franchement : un mot et tout est fini ? » s’interroge Jean-Luc Mélenchon dans un billet publié sur son blog le 22 février et intitulé « Chronique d’un rendez-vous manqué ! ». Il y résume « l’histoire triste » qui a mené à l’échec du rapprochement de sa candidature avec celle de Benoît Hamon et déroule les épisodes jusqu’à ce mot fâcheux qui aurait enterré le projet d’union des gauches, l’assimilation du Parti Socialiste à un « corbillard » lors d’une interview sur BFM TV : « Et ce qui dérange et qu’on met sous le tapis, c’est les raisons pour lesquelles les socialistes ont perdu la moitié de leurs voix. Donc je n’ai pas l’intention d’aller m’accrocher à un corbillard. ». Puis le candidat de la France Insoumise fustige les réactions indignées de ses anciens camarades socialistes avec cette phrase : « Nous eûmes droit ensuite à des déclinaisons de ce « corbillard » si utile. »

On remarquera en premier lieu la délicatesse flaubertienne de ce passé simple à la première personne du pluriel, dont l’emploi constitue peut-être le geste le plus audacieux et anti-système qu’il nous ait été donné de voir à ce stade de la campagne, tant il est vrai que cette forme est volontiers considérée comme vieillie, voire archaïque, par la majorité de nos concitoyens. Cet emploi est pourtant conforme à l’un des traits saillants de la rhétorique mélenchoniste et de la persona qu’il construit au fil ses interventions publiques : la rupture. On le voit ici : la modernité du support (un blog, relié à des comptes sur les réseaux sociaux et une chaîne Youtube régulièrement alimentée) tranche avec des aspects propres à une écriture plus classique (ce passé simple en l’occurrence), le rythme de la phrase, porté par un alexandrin et un octosyllabe, alterne dans le paragraphe avec des phrases déverbales censées incarner des cris de colère (« Comédie ! », « Et avec quelle brutalité ! »), lesquels sont aussi exprimés par un lexique et une syntaxe plus proches du langage parlé (« Juste un peu frontal, non ? »). Ces ruptures de ton et de registre font partie des traits qui rendent les interventions de Mélenchon facilement identifiables par les électeurs.

Dans cette phrase, le terme « déclinaison » est plus discutable, puisqu’il désigne plutôt les différentes formes que peut prendre un même mot selon sa fonction grammaticale, comme c’est le cas en latin ou en allemand. Ce que Mélenchon évoque, comme il le précise plus bas dans son billet, c’est l’interprétation qu’en fait le porte-parole de Benoît Hamon, lequel se formalise d’entendre son candidat assimilé à croque-mort. Et bien sûr, le sujet devient polémique.

Jean-Luc Mélenchon a beau être outré par l’interprétation qu’on fait de ses propos, c’est le risque qu’entraîne la pensée par analogie : si on assimile le Parti Socialiste à un corbillard, il n’est pas absurde, par glissement métonymique et syllogistique plus que par « déclinaison », de supposer qu’on prend celui qui le dirige pour un croque-mort. Ce raisonnement n’a certes rien d’inévitable, mais le fonctionnement de la métaphore ouvre la voie à une glose de ce type. On peut aussi se demander quelle nuance distingue un conducteur de corbillard d’un croque-mort dans les propos électoraux d’un candidat à la présidentielle. La première image serait-elle plus porteuse d’espoirs ou moins péjorative que la seconde, compte tenu de leurs connotations socioculturelles communes ? Ainsi, même s’il faut convenir que l’attaque ad hominem dont il est accusé n’a pas été explicite, il semble pour le moins excessif de parler, comme le fait Jean-Luc Mélenchon un peu plus bas, de « crescendo purement inventé » : d’une part parce qu’il n’est pas certain qu’une image soit plus violente que l’autre, d’autre part parce que l’association d’idées sur laquelle repose ce glissement n’est pas sans fondement.

Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le mot corbillard est ici entre guillemets, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans le reste du billet. Ces guillemets ne sont pas nécessaires à une bonne compréhension, notamment parce que le terme et son contexte d’apparition initial ont déjà été explicités. De fait, ils nous indiquent que ce corbillard n’est pas un véhicule, mais le mot lui-même, décrit comme signe représentant cette réalité. S’il n’est pas rare que les scripteurs emploient des guillemets pour expliciter la boucle autonymique, du fait de ce qu’Authier-Revuz appelle une « fétichisation pour les dispositifs de notation désambiguïsatrice », il aurait de toute façon été incongru de croire qu’il était ici question de l’utilité d’un corbillard en tant que tel, laquelle ne saurait être remise en question.

L’emploi de cette modalité est très fréquent dans le discours politique, puisque le législateur est amené à modifier la société par son emploi des mots, lesquels sont donc bien évidemment soumis à discussion dans les travaux parlementaires, mais aussi parce qu’une bonne partie des débats et polémiques, notamment en période électorale, portent sur la problématique de la mise en mot commentée de façon autonymique : adéquation du discours au réel, intercompréhension réussie ou non, propositions de définition des mots employés, etc.

Ces guillemets, qui pourraient paraître anecdotiques, ont donc aussi un rôle à jouer dans cette polémique-ci, car ils permettent à Jean-Luc Mélenchon d’accuser les socialistes de faire de ce « corbillard » un prétexte pour mettre fin aux négociations, tout en le dissociant de sa propre intervention initiale. Ainsi mis à distance, ce mot « si utile » devient un élément de discours qui circule dans les prises de paroles diverses, et Jean-Luc Mélenchon n’est plus le seul responsable de son emploi. De quoi faire un peu oublier qu’en provoquant l’ire de ses ex-futurs alliés, ce mot ne lui aura pas été inutile non plus.


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