Entretien avec Alexandre Laumonier
L’année dernière, un essai de Sylvain Piron sur le lettré médiéval Opicino de Canistris remporta coup sur coup le prix du Best Dutch Book Designs et le Grand Prix des rendez-vous de l’histoire de Blois. Scientifiquement remarquable et doté d’une étonnante plastique, Dialectique du monstre et sa double consécration ont révélé le travail entrepris depuis 2011 par Alexandre Laumonier avec les éditions Zones sensibles. Riche d’une vingtaine de titres, dont de nombreux ouvrages d’anthropologie, le catalogue comporte aussi des livres se jouant des catégorisations, comme ce voyage dans les musées du rock ou une enquête sur l’informatisation de la finance. Surtout, spécificité supplémentaire et nodale, l’éditeur se trouve être aussi le graphiste de Zones sensibles. D’où ces volumes agréables à l’œil, plaisants à manier et offrant de vraies surprises esthétiques. À contrecourant de la dématérialisation généralisée et contre l’idée qu’un ouvrage théorique doit nécessairement être fruste, Zones sensibles prouve qu’il est encore possible de publier (et de vendre) des essais. À condition, comme le souligne Alexandre Laumonier, de « soigner l’objet-livre-papier ».
Comment et pourquoi un graphiste au riche parcours tel que vous devient-il éditeur en sciences humaines ?
À vrai dire, j’ai commencé mes activités de graphiste et d’éditeur au même moment, il y a vingt ans ce printemps. Ayant abrégé mes études de lettres modernes, j’ai commencé à faire quelques travaux en graphisme. J’ai grandi avec les premiers Macintosh – mes parents étaient alors enseignants – et l’ordinateur est très vite devenu un outil pour moi. Puis, l’année suivante, j’ai créé Nomad’s land, ma première revue, qui a connu quatre numéros, et depuis je n’ai cessé d’éditer. Je dois préciser qu’en tant que graphiste je ne fais que des livres – je ne sais pas dessiner de logo, ma maîtrise de Photoshop est très limitée. En revanche je me suis longtemps spécialisé dans la production d’imposants livres académiques – actes de colloque, etc. – où parfois les textes étaient en plusieurs langues, avec souvent des centaines de notes de bas de pages et/ou marginales. Jusqu’à Zones sensibles, mon travail de graphiste consistait donc plutôt à manier des centaines de milliers de caractères dans de gros volumes académiques – ce à quoi s’est ajoutée mon activité de directeur artistique/maquettiste pour le magazine d’art contemporain Art press, pendant dix ans, et quelques collections de livres autour des arts.
Je ne sais plus exactement si je suis devenu graphiste avant d’être éditeur, ou si j’ai profité d’être graphiste pour me lancer dans l’édition. Peu importe, je me sens davantage éditeur que graphiste – j’ai d’ailleurs fermé aux nouveaux clients mon studio graphique, The Theatre of Operations, préférant désormais donner la priorité à Zones sensibles dont, de fait, je suis le graphiste attitré, même si je fais parfois appel à des collaborateurs extérieurs pour les travaux que je suis incapable de faire (l’illustration par exemple). Ayant grandi dans une famille où les sciences humaines (et les sciences dures) étaient très présentes, ayant côtoyé très tôt le milieu « universitaire », c’est tout naturellement qu’après Nomad’s land (1996-1999) j’ai créé les Éditions Kargo (2000-2007) qui ont commencé à se tourner vers les sciences humaines/sociales. Autant de domaines que je n’ai plus quittés depuis.
Vos publications se distinguent par une attention marquée à la forme. C’est une préoccupation inattendue dans l’édition en sciences sociales et encore plus pour celle de sciences dures. À quoi répond cette volonté de faire d’ouvrages théoriques des objets esthétiques ?
Lorsqu’en 2010 j’ai passé une année entière à réfléchir à ce que serait Zones sensibles avant de fonder officiellement la maison (quels livres publier ? à quel rythme ? avec quels formats ? etc.), l’une de mes premières décisions fut d’offrir aux lecteurs des livres agréables à la vue, agréables à manipuler (et surtout à ouvrir, d’où notre brochage si particulier, qui permet de mettre à plat le livre sans en casser le dos) et accessibles. Le constat était simple : si, d’après certains pleureurs, les livres de sciences humaines ne se vendent plus, c’est moins à mon sens parce que le lectorat manque qu’en raison de la pauvreté graphique de la plupart des livres. Cela n’est pas seulement valable pour les couvertures, dont les choix graphiques peuvent toujours se discuter, ou pour les caractères utilisés pour les textes, mais aussi, plus globalement, pour les objets eux-mêmes – certains livres sont de vraies briques, impossibles à ouvrir correctement. Or le savoir doit s’ouvrir au lecteur, au sens propre comme au sens figuré. D’où le choix de notre brochage. Si, face à la dématérialisation du savoir, le livre papier a encore un avenir (ce que je pense, et les ventes de Zones sensibles le prouvent), il faut soigner l’objet-livre-papier. À partir de ce simple et évident constat, j’ai réfléchi à la manière d’optimiser les objets, tout en restant dans un format classique et avec des papiers « de base ».
Outre le brochage, j’ai repensé la couleur de la couture et son emplacement, les marges autour du texte à l’intérieur, la manière d’utiliser la couverture intérieure pour y glisser le colophon, le choix d’un caractère unique pour les textes, une typographie très XVIIIe siècle avec des caractères bien noirs sans lorgner vers le gras, etc. J’ai repris chaque point de détail de la fabrication d’un livre et visité divers fournisseurs en Belgique dans l’idée d’optimiser le papier de couverture : en le découpant ou en le perforant ; en y ajoutant des vernis teintés, des découpes, ou de l’embossage en trois dimensions reproduisant le lit d’une rivière, etc. Toutes choses tangibles que l’édition numérique ne pourra jamais offrir. En résumé, quitte à éditer via du papier, autant pousser ce papier dans ses derniers retranchements. J’ai beaucoup pensé à Steve Jobs en décidant d’élaborer le design des livres de l’intérieur, en commençant par la couture. Jobs tenait à ce que l’intérieur des premiers Macs (l’ingénierie de l’ordinateur, invisible à moins de l’ouvrir) soit d’un design irréprochable, même si cela n’a aucun intérêt à partir du moment où l’ordinateur fonctionne correctement. Cela n’a aucun intérêt lors du processus de lecture que la couture du livre soit noire ou verte, mais c’est un bonus qui participe je crois au confort de lecture.
Deuxièmement, contrairement à ce qui est réalisé pour certains romans graphiques ou pour la littérature de jeunesse (bien plus beaux aujourd’hui qu’il y a trente ans), il semble que, dans la diversité des parutions que l’on peut trouver en librairie, les livres de sciences humaines soient le parent pauvre du graphisme – ce qui s’explique sans doute du fait que « la pensée est suffisamment importante » pour que la forme soit négligée, même si cela commence à changer un peu. Pour autant, on peut tout à fait garder une mise en page très classique (ce que nous faisons chez Zones sensibles) tout en proposant, autour, des couvertures travaillées et surtout un soin particulier apporté à la reproduction des images. Peu d’éditeurs de sciences humaines (je ne parle pas ici des livres d’histoire fortement illustrés, mais plutôt de la pensée académique) se soucient de la qualité des images. Pour notre dernière parution, Comment pensent les forêts d’Eduardo Kohn, l’édition d’origine américaine ne proposait que des reproductions en noir et blanc (mal imprimées qui plus est). Quand Eduardo m’a appris que certaines de ces images avaient à l’origine été prises en couleurs avec des films argentiques Kodachrome ou Ektachrome, je lui ai demandé ces images « brutes », et là toute la beauté de la forêt, des humains et des non-humains, s’est offerte à mes yeux. Aussi ai-je décidé d’imprimer la plupart des photographies de son livre en couleurs, en travaillant la photogravure, de telle sorte que le lecteur puisse retrouver le grain typique de ce genre de films argentiques sur un papier offset. Ce n’est pas si compliqué ni très cher, cela demande simplement un peu de réflexion.
Dialectique du monstre a été à la fois un ouvrage dans la « norme Zones sensibles » et une exception. Dans la norme puisque, compte tenu de son sujet et de son iconographie – les planches d’origine d’Opicino font parfois un mètre de hauteur –, il allait de soi que reproduire de telles planches en petit format n’aurait eu aucun sens. D’où les dépliants à l’intérieur du livre, et la jaquette dépliable qui permet de visualiser une planche quasiment au format d’origine. L’aspect « exceptionnel » de la production de l’ouvrage est qu’il fut littéralement composé à quatre mains, l’auteur, Sylvain Piron, et moi ayant, en six mois, rédigé pour l’un et mis en page pour l’autre, le livre, en fonction des contraintes techniques (l’emplacement d’un dépliant intérieur ne pouvant être qu’au milieu d’un cahier cousu, par exemple). Certaines images ont donc été choisies au fur et à mesure de l’avancée des chapitres, etc. Lorsqu’on a la chance d’avoir à disposition, d’un côté, une matière textuelle reflétant un travail de recherche de grande qualité, et, de l’autre, de magnifiques (mais coûteuses) photographies des planches produites par la Bibliothèque vaticane, il m’était difficile de ne pas faire de ce livre un « presque-livre-d’art ». D’une manière générale, j’essaie de pousser à bout chaque idée graphique, chaque possibilité technique, quitte à changer souvent mon fusil d’épaule. C’est sans doute la partie du travail la plus amusante.
Parallèlement à cette originalité graphique, les livres que vous publiez tendent à être situés aux marges de leur discipline, voire impossible à catégoriser. Zones sensibles compte beaucoup d’essais d’anthropologie, mais aussi des œuvres uniques en leur genre comme Les imaginaires en géométrie de Pavel Florensky. Quels sont vos critères de sélection ?
J’ai décidé, dès la naissance de Zones sensibles, en 2011, d’axer une partie du programme éditorial autour de l’anthropologie (un domaine déjà bien vaste en soi) : parce que c’est une discipline qui, plus que d’autres à mes yeux, apporte de riches réflexions quand aux possibilités de faire avec notre monde contemporain ; parce qu’il reste encore de nombreux classiques non traduits en français ; parce que j’ai autour de moi des amis anthropologues et que j’ai décidé de me remettre à étudier l’anthropologie. Cela dit, même si certains chiffres de ventes sont bons (les deux livres d’Ingold se sont vendus respectivement à 7 000 et 3 500 exemplaires à ce jour ; L’invention de la culture de Roy Wagner a dépassé les 1 200 exemplaires ; le premier tirage de Comment pensent les forêts est de 3 000 exemplaires), ne publier que de l’anthropologie mènerait certainement à la faillite. Pour le reste, Zones sensibles étant une association sans but lucratif (ce qui ne l’empêche pas de gagner de l’argent), sans actionnaires, je publie ce que je veux tout en essayant de garder une cohérence éditoriale globale (ce qui n’est pas si aisé avec un rythme de parution de cinq livres par an).
Je n’ai aucun critère de sélection précis, si ce n’est que je ne publie pas de la « pure fiction », ni de la « poésie » par exemple. Pour le reste, les livres du catalogue viennent à la fois de mes envies et des manques que je peux constater (un classique jamais traduit, ou un autre épuisé depuis longtemps) ; certains projets me sont apportés sur un plateau, comme Les imaginaires en géométrie ou Comment pensent les forêts, d’autres demandent de partir de zéro et de tout construire (Dialectique du monstre), d’autres encore sont le fruit du hasard (De la détection et réception du baratin pseudo-profond) ou sont des projets qui traînent sur mon bureau depuis parfois vingt ans comme Hilarotragœdia, le premier ouvrage de Giorgio Manganelli, une sorte de traité de théo-cosmologie négative dont mon ami Umberto Eco m’avait offert un exemplaire il y a vingt ans, sans que je sache vraiment quoi en faire jusqu’à aujourd’hui – il paraîtra finalement en octobre 2017. Il n’y a pas de collection chez Zones sensibles car je ne veux pas catégoriser les livres. Être éditeur, c’est créer un contexte (une maison, des livres, peut-être même des lignes de fuite) où tout livre doit pouvoir être le bienvenu à un certain moment, qu’il s’agisse d’un travail ethnographique comme celui de Keith Basso (L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert) ou de creative non-fiction comme Yucca Mountain de John D’Agata.
J’ai fini par comprendre (très récemment, en fait) ce qui m’intéressait dans l’édition (un métier artisanal peu rémunérateur) en lisant des interviews de musiciens et de directeurs de labels de musiques électronique des années 1990 – j’ai découvert dans ces années-là ce spectre musical des musiques électroniques, ainsi que tout l’apparat graphique impressionnant qui était, par exemple, celui de labels anglais comme Warp Records, autant de conceptions graphiques qui m’ont fortement influencé quoique ma propre pratique plastique soit à l’opposé de ce graphisme postmoderne de ces années-là. Quand de jeunes musiciens électroniques (comme Autechre), produisant dans leur cave, n’arrivaient pas à trouver des labels acceptant leurs productions musicales, parce qu’elles étaient en avance, ou « non catégorisables », ou autre, les gars se sont tout simplement dit : « Ok, puisqu’il n’y a pas de labels prêts à accepter nos productions, puisque le contexte n’est pas là, créons notre propre structure pour que le contexte puisse exister. » Je ne suis ni musicien ni écrivain, mais j’ai retenu cette leçon : pour faire passer un savoir, il faut le contextualiser, et le meilleur moyen de le contextualiser, c’est de créer un espace-temps (une maison d’édition) où tout devient possible – ou presque.
En dépit de cette hétérogénéité, des motifs récurrents apparaissent et, en particulier, une certaine inclination pour le non humain : le narrateur de Flatland est un carré, celui de 6/5 un algorithme et plusieurs de vos publications nous immergent dans des lieux vidés de toute présence humaine. Cet intérêt pour ces univers sans l’homme serait-il l’un des axes structurants de Zones sensibles ?
Je n’avais pas initialement prévu cet enchaînement d’ouvrages dont les narrateurs ne seraient pas humains. Flatland était un classique dont la seule traduction française correcte était épuisée depuis des années ; quant à 6/5, dont je suis l’auteur, j’avais choisi un algorithme comme narrateur, par facilité, même si je trouve, a posteriori, que ce n’était pas la meilleure solution. Ce qui m’intéresse peut-être davantage que ces espaces sans humains (qui, en fait, n’existent pas), ce sont les relations humains/non humains et ce que Philippe Descola appelle un « universalisme relatif », un universalisme des relations « de continuité et de discontinuité, d’identité et de différence, de ressemblance et de dissimilitude que les humains établissent partout entre les existants ». Cet universalisme relatif, en un sens, se retrouve dans Flatland autant que dans 6/5.
Dans le manifeste de Zones sensibles, vous dites refuser l’opposition entre « gros » et « petits » éditeurs et vous définissez les « zones sensibles » comme n’étant « ni de droite ni de gauche ». Comment vous positionnez-vous dans le paysage oligopolistique de l’édition et la forte polarisation politique d’un certain nombre de maisons ?
Je ne me positionne nulle part (ou partout ?), entre les grosses maisons devenues – pour des raisons industrielles plutôt qu’intellectuelles d’ailleurs – de plus en plus oligarchiques et les autres, dites « petites », « militantes », « indépendantes », ou ce que vous voulez. Cela dit, il est vrai qu’au début des années 2000 ont émergé de multiples maisons, plutôt politisées et qui ont repris le flambeau de certains anciennes « grosses maisons » comme Le Seuil qui étaient plutôt connotées « à gauche », ou d’autres structures plus petites à la gauche de la gauche (François Maspero, par exemple). Il faut reconnaître que, dans ces mêmes années, ces grosses structures ont laissé de côté tout un pan de la pensée – française ou non – et il n’est donc pas illogique que ces maisons « indépendantes » aient globalement reçu plus de visibilité dans un espace médiatique où les légitimes interrogations politiques sur l’avenir de la gauche (et de la pensée de gauche) passent évidemment davantage par les livres que par les débats télévisés de pseudo-experts politiques. Les années 2000 ont été intéressantes à cet égard.
Sans cynisme – et mon avis est partagé par certains confrères –, ces maisons « indépendantes » ont aussi et surtout pu se développer et publier de bons ouvrages parce que ces derniers n’intéressent plus les « grosses » maisons. Cela vaut non seulement pour des livres engagés politiquement mais également pour l’anthropologie (qui est aussi, en un sens, toujours politique). Il y a quinze ou vingt ans, des ouvrages comme L’invention de la culture de Roy Wagner, ceux de Tim Ingold, ou Comment pensent les forêts, auraient été récupérés par de grosses maisons ayant eu une implication historique dans ces domaines, mais le fait est que ces maisons ont (plus ou moins) déserté le terrain et que cela a offert (et offre toujours) un boulevard éditorial aux structures plus petites. Le fait qu’un livre aussi important que Comment pensent les forêts soit arrivé chez Zones sensibles, grâce à la volonté de son traducteur et de son auteur, et non chez Gallimard ou au Seuil, est sans doute la meilleure preuve que beaucoup d’auteurs estiment que le travail global de production d’un livre (édition, graphisme, fabrication) est désormais plus intéressant dans les « petites » structures que chez de gros éditeurs où un ouvrage est vite perdu parmi les milliers qu’ils font paraître chaque année.
En fin de compte, je crois que publier peu mais bien, en ouvrant le plus possible le spectre éditorial, finit par payer, à la fois en termes de ventes et en termes d’attraction (la plupart des traductions publiées par Zones sensibles sont à l’origine des ouvrages publiés par de grosses presses universitaires, américaines ou non). Au demeurant, je ne comprends pas vraiment l’opposition entre les « gros éditeurs qui font du fric » et les « petits indépendants engagés ». Si cette opposition est « politique », c’est sans doute vrai ; mais, concrètement parlant, gros et petits éditeurs ont affaire plus ou moins aux mêmes structures de diffusion/distribution, aux mêmes libraires, à Amazon, etc. À moins d’être très vertueux (de s’auto-distribuer dans certains endroits, etc.), nous sommes tous tenus par les mêmes fonctionnements logistiques si nous voulons que nos ouvrages finissent dans les mains d’un lecteur en librairie. La différence n’est finalement qu’une différence de position éditoriale, de savoir. Sans parler du rôle fondamental de certains libraires qui, eux aussi, font des choix parfois drastiques et permettent à des maisons comme Zones sensibles d’être plus visibles que les « grosses maisons ». C’est à tous les niveaux de la chaîne du livre que se jouent l’indépendance d’esprit et la liberté de pensée : cela demande une attention quotidienne.
Après six ans d’existence, comment voyez-vous le futur de Zones sensibles ?
La pérennité d’une maison d’édition comme Zones sensibles dépend principalement des ventes, et si celles-ci sont très correctes pour le moment, qui sait si elles le seront encore dans deux ans ? 85 % du budget de production des livres, entre février 2016 et février 2017 (cinq nouveautés dont quatre traductions + trois réimpressions), proviennent des ventes des livres – nous sommes donc contraints de continuer à vendre pour subsister. Cela dit, puisque certains projets peuvent demander deux à trois ans pour se concrétiser, nous devons travailler bien en amont sur les livres à paraître : le programme éditorial de la maison est bouclé jusqu’au début 2019 – au-delà, je n’ai aucune visibilité financière sur l’avenir de la maison. L’important, je crois, est de ne pas publier davantage et de continuer un travail de fond (du coté de l’anthropologie notamment) tout en explorant des horizons encore peu connus. Il sera par exemple beaucoup question d’économie et de scolastique fin 2017 et en 2018, mais aussi de cartes apocalyptiques, d’algorithmes et de paysage, de la « nature descensionnelle » de l’homme, du « Mexique profond » et de bien d’autres choses. En bref, le futur ressemblera au passé mais avec d’autres perspectives, de nouveaux auteurs et j’espère de nouvelles tentatives pour pousser à bout l’objet-livre. J’essaie en somme de rester fidèle à la devise de la maison, Pactum serva, que l’on peut traduire par « garde la foi » ou « maintenons le serment » – c’est-à-dire, ici, le serment passé entre moi et moi au début de Zones sensibles, reposant sur l’idée de rester autant que possible fidèle à ses engagements éditoriaux et graphiques.
Propos recueillis par Ulysse Baratin