Memento mori

Neuf année durant la narratrice du roman de Caroline Lamarche a aimé un homme qui ressemblait à son père aux yeux rieurs. Elle a quitté cet homme. Elle renoue avec les livres, et le monde, grâce à Bertrand le libraire de Saint-Hubert qui, avant de se suicider, la présente à Berlinde, une sculptrice qui sublime la mort par la figure du cerf.


Caroline Lamarche, Dans la maison un grand cerf. Gallimard, 136 p., 12,50 €


« Cerf cerf ouvre-moi/ Ou le chasseur me tuera » : le début d’une comptine mis en exergue donne sa tonalité, et son titre, au roman de l’écrivain belge Caroline Lamarche. Elle augure d’une gravité, – l’inéluctable fin (telle mort « promise ») -, assortie de légèreté, celle avec laquelle on pourrait traiter le sujet auquel le livre offre refuge.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : il nous faut un grand cerf, sans ramure, sans trophée. Le grand cerf plus lourd que la biche, et maigre du tourment de l’avoir perdue, est le garant métaphorique, sacrificiel d’une chasse éternellement recommencée. Il apprivoise les lieux, les rendant perméables à ce qui pourrait surgir, et donne une vigueur pérenne à ce qui sera.

Sommes-nous nés pour l’anéantissement amoureux ? Voire pour la prodigalité de chaque instant ? « Comment se découpe une vie qui dure un jour ? » A quoi, partant, à qui se livrerait-on si la sauvagerie n’était inscrite dans l’aventure ? Si l’acceptation d’une fin n’était elle-même comme la condition de ce qui peut se vivre ? Ainsi : « Ce qui m’attire chez les hommes est résolument leur squelette, la manière dont, tout autour, le corps s’organise et se meut dans un accord secret avec l’ossature même. Le signe le plus fort de mon attachement vient quand je les imagine morts. Étreindre un homme, le serrer contre soi, le mordre, l’embrasser, ne se peut qu’avec la fureur arrachée à la certitude qu’un jour nous ne serons que poussière, bien que les os durent parfois infiniment ».

Caroline Lamarche, Dans la maison un grand cerf, Gallimard

Caroline Lamarche © Jean-Luc Bertini

C’est bien la mort qui déploie un supplément de sens, et l’approfondit dans la violence de l’amour, dans la rencontre avec l’autre, ou dans la représentation de l’art. C’est elle, pugnace, déraisonnable ou fervente, qui détermine, fût-ce de manière oblique, ce qui s’est réellement joué dans le récit.

Quelque chose a lieu. Le sait-on d’avance ?

Qu’est-ce qui résiste silencieusement ?

Non pas la démesure, ni l’excès, mais ce qui demeure, secrètement : le sensible frémissement de l’âme. Nul ne s’abrite, ne s’enfouit, ne se révèle dans un corps. Et pourtant ? Il nous faut dès lors parler de la tendresse des entrailles, « couleur d’ivoire, qui s’étaient écoulées, lumineuses et fragiles. Le motif inversé des bois de cerf, rigides, gris, éternels » pour montrer la dépouille et dissimuler le trophée.

Et mentionner la transfiguration finale, son apparente apparition : l’animal irradie, « pris en charge avec énergie et délicatesse, dans l’urgence requise par la fragilité des chairs. »

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