La quatrième de couverture éclaircit parfaitement le titre et le propos du livre : « L’anneau merveilleux, […] c’est le kholkhal que portait la mère au temps où juifs et musulmans vivaient séparés, mais ensemble dans cette Algérie qui a disparu » et dont le souvenir va si profondément ensuite marquer la vie et l’œuvre d’Albert Bensoussan, installé aujourd’hui à Rennes où il vit et enseigne à l’université depuis 1963.
Albert Bensoussan, L’anneau. Al Manar, 116 p., 20 €
Sa propre mère, tout imbibée qu’elle fût, à l’origine, d’un mélange spécifique de culture hébraïque et de croyances populaires locales, se verra elle aussi amenée à se réfugier en France sous la pression des événements, non sans ressentir une poignante mélancolie. En un certain sens, l’œuvre littéraire d’Albert Bensoussan, écrite en un milieu entièrement distinct de l’espace premier, sera une façon de le retrouver par l’émotion que fait renaître la plume, et qui vibre avec une intensité singulière, fût-ce sous un tout autre climat.
Voilà sans doute pourquoi cette nostalgie initiale imprègne, par toutes sortes de retournements imaginaires, la mémoire et les récits d’Albert Bensoussan, qui sont si souvent marqués par l’heureuse surprise d’impossibles retours ou de paradoxales rêveries. Alors qu’il sait pertinemment que sa mère « repose sous la dalle au cimetière de Pantin », il se plaît à l’imaginer enfant, comme une petite fille qu’il aurait élevée lui-même, « heureuse d’aller à l’école et de maîtriser, enfin, la langue française ». Pour échapper à son désastre intime, il inverse ainsi les rôles. Bien entendu, cette pseudo-dénégation est une de ces pirouettes dont il est friand et qui lui font mieux supporter la douleur ou les imprévus du destin.
Il y a aussi – mais tout de même un peu au second plan – un père qui se voit propulsé dans la métropole par la guerre de 14-18, et dont le retour, après une grave blessure, marque justement la naissance du futur écrivain, en une sorte de victoire personnelle : « Je suis né de ce défi », affirme-t-il. Mais de nouvelles complications ne manqueront pas de surgir avec la Seconde Guerre mondiale et le souci du gouvernement de Vichy de répandre ses lois antisémites jusque sur l’autre rive de la Méditerranée. Le portrait du Maréchal était punaisé dans toutes les classes des écoles, se souvient Bensoussan. Certes, le soudain débarquement des Alliés mettra fin à tout cela mais, par la suite, comme on le sait, ce sont tous les citoyens français qui deviendront indésirables, même s’ils étaient bien loin de tirer quelque profit colonial pour nombre d’entre eux.
Bref, l’Indépendance supposera le départ de tous, riches ou non. « C’est vrai, j’ai fui l’Algérie il y a un demi-siècle », observe Albert Bensoussan, que son nom de famille ne suffisait nullement à protéger comme on pourrait le croire naïvement. Une mélancolie l’assaille en songeant à ce qui fut et à ce qui aurait pu être. Un « rêve récurrent » manifeste une nostalgie : « Nous avons appris ensemble le baiser, Fatiha ». Mais, décidément, de l’Algérie qui fut, toutes les traces sont systématiquement promises à l’oubli.