Imagine-t-on de nos jours la complexité des règles écrites et plus encore des règles non écrites qui régissaient le savoir-vivre entre courtisans à Versailles ? Daria Galateria, spécialiste de littérature française à La Sapienza de Rome tente d’analyser les codes parfois extravagants qui organisaient le cérémonial de la cour à l’âge d’or de la monarchie française. Une des multiples façons pour le roi de rappeler sa puissance en donnant « quand il [lui] plaît, un prix infini à ce qui de soi-même n’est rien ».
Daria Galateria, L’étiquette à la cour de Versailles. Trad. de l’italien par Françoise Antoine. Flammarion, 317 p., 24.90 €
L’aspect de ce joli livre – titre prometteur, dos et lettres dorés sur fond vert tendre, abondamment illustré de gravures de l’époque, maquette aérée – est des plus séduisants. Un coup d’œil au texte donne envie de poursuivre. Anecdotes courtes, noms célèbres ou peu connus, citations piquantes achèvent de convaincre : voilà un livre attrayant où la caution d’une universitaire italienne, Daria Galateria, va permettre de retrouver, sans les habituels clichés, les murmures dont bruissaient alors les coulisses du palais, d’apprendre avec plaisir, de revivre brièvement la fascination qu’exercent encore ces monarques dans notre État républicain. Commencera-t-on par Il était une fois Versailles, promesse d’introduction à une belle histoire ? Ce qui en tient lieu chemine de-ci de-là, s’arrête, repart, navigue entre des expressions effectivement nouvelles, butine quelques noms, Saint-Simon, Visconti… pour s’achever sur la présence insolite d’une analyse de Swann, le personnage de Proust, dont le snobisme serait un lointain miroir de l’étiquette versaillaise. On aurait préféré une ligne chronologique ou même simplement logique plus rigoureuse. Le recul salvateur viendra sans doute plus tard.
S’ouvre justement une première partie où l’Étiquette est clairement annoncée. Cette fois, ce sera « au fil des jours ». Mais par ordre alphabétique… Cette présentation diachronique étant admise, que « Gentilhomme ordinaire du message » précède « Gobelet », ou que « Survivance » apparaisse entre « Souverains en exil » et « Table ronde » n’a rien pour arrêter un esprit encore curieux de découvrir – et plus encore de comprendre – les pratiques à la cour de Versailles. Qui dit alphabet dit un peu dictionnaire, non ?
Ainsi démarre-t-on de but en blanc par « Ancienneté ». Le sens du mot se déduira d’une anecdote circonscrite aux seules mésaventures des ducs de Luxembourg. On s’en contentera. Au mot « Carreau », est décrit un carré de tissu destiné à marquer une préséance à la messe. Où ? comment ? Au lecteur de comprendre qu’il s’agit d’un coussin car ce mot, lui, est absent. Il aurait pourtant éclairé la notion de « Drap de pied », déjà embrouillée en soi, que cette lacune achève de rendre obscure. L’appétit d’apprendre commence à souffrir d’une pointe de frustration. Mais on s’amuse, poursuivons. Par « Devant le carrosse », entendre « sur le devant » du carrosse. Il ne s’agit pas de précéder le carrosse mais de s’asseoir démocratiquement à côté du cocher, question de point de vue ou de traduction ; « Ducs à brevet » est une dignité sans lendemain accordée à certains. Pour les « vrais » ducs, voir la fin de l’article, l’inverse eût été plus éclairant ; « Évêque pairs académiciens » est un cas triplement particulier d’une notice sur la dignité sacerdotale qui ne figure pas ailleurs dans le livre ; pas plus que celle de « pair », mais il faut avouer que les mésaventures de l’évêque de Noyon les remplacent avantageusement ; « Incognito » demande une telle connaissance de la généalogie que, de fait, incognito ( sans jeu de mots) l’entrée peut le rester ; « Monseigneur en parlant » : Monseigneur, cette appellation donnée d’abord « par badinage » par Louis XIV à son fils, serait devenue par la suite courante dans la conversation. Mais l’expression « en parlant » n’a jamais existé en tant que telle, pourquoi en faire une entrée ? La traduction et l’ordre alphabétique s’accorderaient-ils difficilement avec les interprétations en italien d’expressions pourtant… françaises ? Plus loin : « Privilège de l’opéra », seule notice traitant de privilèges. « Queue de la robe » se comprend en regardant l’illustration ; « Sérénissime », on pense à Venise, on se retrouve au Danemark. Le lecteur cherchera en vain trace du mot dans l’article, il ne s’y trouve pas. Il sourira néanmoins en découvrant les échanges de bons procédés entre une huguenote zélée et les bons pères du quartier de Saint-Sulpice. Quel rapport ? Aucun.
Et ainsi de suite. C’est un abécédaire « à la Prévert », voilà tout, la quatrième de couverture nous avait prévenus. Il y a bien l’index. Les index sont faits pour établir ces liens nécessaires entre des notions hétérogènes dont le sens échappe ou a évolué depuis, ou pour simplement les repérer dans l’amas des rubriques. Sauf qu’ici l’index est la reproduction à l’identique des entrées par ordre alphabétique ! Ce serait donc plutôt une table des matières… à supposer que les dictionnaires aient besoin d’une table alphabétique de leurs entrées. En attendant, on reste gracieusement livrés à ses conjectures. Les notes en fin de volume atténueront-elles notre perplexité ? Elles font sagement référence aux ouvrages qui ont inspiré chaque entrée. Mais, comme il n’y a pas d’appel de notes dans le texte (on regrettera notamment que les citations, si judicieusement choisies, si spirituelles, n’aient le plus souvent ni références ni paternité), autant appeler cela une bibliographie.
Faute de ces repères propres à la compréhension ordinaire, on sautillera donc, avec l’auteure, au gré d’expressions et d’anecdotes plutôt distrayantes, qui supposent cependant beaucoup de choses connues. On regardera avec profit les gravures très descriptives de Nicolas Arnoult (exécutées entre 1680 et 1720) et leurs légendes fort bien rédigées. On aura depuis longtemps renoncé à comprendre, et même plus modestement à s’y retrouver. Un inventaire « à la Prévert » ? Une belle poignée de confettis plutôt. Dans son joli papier cadeau.