Très heureuse initiative que la publication de ces textes inédits destinés au cinéma, tous trois pleins d’échos à l’œuvre scénaristique et littéraire de Jacques Prévert, non seulement par les thèmes mais par le style, l’humour, les jeux de mots, les lieux évoqués, les divers genres abordés.
Jacques Prévert, Cinéma. Scénarios inédits. Préface de N. T. Binh. Présentation des scénarios inédits et commentaires de la filmographie par Carole Aurouet. Gallimard, coll. « Folio », 400 p., 9,30 €
Le premier texte (194 pages) et le troisième (117 pages) sont des « continuités dialoguées », le deuxième (14 pages) est à mi-chemin entre le « synopsis » et le « traitement » (dans sa préface, N. T. Binh estime à quelques dizaines de pages la longueur moyenne de ceux-ci).
Le grand matinal (1937), d’abord prévu pour être tourné par Jean de Limur, fut ensuite destiné à Jean Grémillon mais le projet avorta. Prévert, comme dans son sketch pour le groupe Octobre, Vive la presse, fait une satire violente de la presse au service des puissants mais aussi des grands industriels prêts à tout pour gagner de l’argent. Ici, Jean-Simon Patoyer vend des pièces d’avion défectueuses et provoque la mort de quantité de personnes en toute connaissance de cause. Le journaliste Coudrier, qui refuse de se faire acheter et informe le public des agissements de Patoyer, a l’indépendance d’esprit de Prévert. Le scénario est d’ailleurs truffé de détails autobiographiques et l’on reconnaît sans peine dans la bande d’amis qui partagent leurs maigres deniers, s’aident dans les moments difficiles, se débrouillent comme ils peuvent pour vivre au jour le jour, les locataires du 54 de la rue du Château, notamment Tanguy et Prévert, hébergés par Marcel Duhamel de 1924 à 1928. L’ensemble est drôle et percutant et aurait fait, sans aucun doute, un bon film.
Avec Jour de sortie ou La lanterne magique, écrit en 1941, on retrouve le goût du merveilleux cher à Prévert, et qui constitue une des multiples facettes de son talent. Très inventif et poétique, le texte se lit comme un conte et Prévert, avant Woody Allen, fait entrer et sortir ses personnages de l’écran. Le jeune homme qui propose de village en village son cinéma ambulant n’a pas besoin des fêtes déclarées et instituées pour se réjouir : « C’est aujourd’hui jour de fête, parce qu’il y a du soleil et parce que je suis content ! », anticonformisme salubre et revigorant comme celui qui éclaire la plupart des textes de Jacques Prévert et qui parcourt tout le synopsis. Le troisième, Au diable vert, écrit en 1954, a pour titre le nom d’un café du 4e arrondissement de Paris où Prévert se rendait souvent avec Desnos et qui lui a inspiré un collage et un texte publiés dans Fatras. L’histoire – un couple menacé par un gangster – est le prétexte à des promenades dans des quartiers de Paris particulièrement fréquentés par le scénariste. Le couple tel qu’il l’imagine (Betsy-Sidney) lui permet, comme souvent, de donner raison au personnage féminin qui défend l’amour et le merveilleux et qui aura gain de cause contre son amant désabusé. Maints jeux sur les mots pourraient figurer dans un des recueils de Prévert, comme cette évocation de Pascal, souvent sujet de son ironie : « Tiens, regarde-les, les pauvres diables poussant leur diable… cela ne les empêche pas de le tirer par la queue… C’est Pascal qui a inventé la brouette mais il n’a pas pensé aux diables… un bruit de tous les diables… il n’a pas osé en parler ».
La préface de N. T. Binh situe ces textes dans l’œuvre scénaristique de Prévert. Les présentations de Carole Aurouet, très courtes, ne peuvent en quelques lignes en dégager les liens si nombreux avec le reste de l’œuvre mais en revanche la filmographie qu’elle propose à la fin du volume est très substantielle et donne de nombreuses informations sur les projets non aboutis.