Toujours dans la littérature d’anticipation, mais dans une veine moins « génétique » que la récente trilogie Le dernier homme, Margaret Atwood signe un nouveau roman terrifiant et drôle. Elle y reprend l’univers dystopique de Positron créé en 2012 dans un feuilleton pour livre électronique en quatre épisodes.
Margaret Atwood, C’est le cœur qui lâche en dernier. Trad. de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch. Robert Laffont, 450 p., 22 €
Quelque part dans une Amérique du Nord largement plausible, un couple tâche de survivre à la crise. Touchés, comme beaucoup, par le chômage, Stan et Charmaine en sont réduits à loger dans leur voiture. Pour payer l’essence et la nourriture, elle travaille quelques heures par jour dans un bar ; il s’interroge sur l’opportunité de renouer avec son frère qui pourrait lui procurer un gagne-pain plus ou moins licite.
Un jour, séduits par un spot publicitaire, ils décident de rejoindre une communauté appelée Consilience, qui leur permettra d’avoir un travail et un logement. Le principe est simple : un mois sur deux, ils sont logés et employés dans le centre pénitentiaire de la communauté, Positron. Stan se partage entre un travail de garagiste et la charge du poulailler qui nourrit les prisonniers ; Charmaine entre un emploi de boulangerie et une responsabilité médicale au sein de la prison.
Stan et Charmaine retrouvent confort et sentiment d’utilité, mais cela n’a qu’un temps. Mis à rude épreuve sur le plan personnel comme sur le plan professionnel dans un monde qui rogne sur la liberté au nom de la sécurité, ils ne tardent pas à trouver leur nouvelle vie infernale. Mais le contrat qu’ils ont signé stipule qu’ils ne peuvent pas quitter la communauté…
Atwood explore comme à son habitude toutes les facettes de la psychologie humaine, les peurs, les désirs, les manipulations… Ce roman est probablement plus « américain » que ses prédécesseurs : la prison et la peine de mort y prennent une grande place, mais aussi la recherche du bonheur (droit fondamental, inscrit dans la Constitution des États-Unis). Les multiples références aux happy days des années 1950 et 1960 entretiennent le mirage d’une vie heureuse dans la communauté de Consilience.
La deuxième partie du roman bascule franchement dans le grand-guignol, escapade à Las Vegas aidant : usine de « possibilibots » (ou « prostibots », robots pour la prostitution), sosies d’Elvis Presley et de Marilyn Monroe (dont certains sont des « prostibots »), lobotomie capable de vous rendre amoureux d’un ours en peluche, les péripéties sont plus grotesques les unes que les autres. Malgré la satire savoureuse d’une société occidentale vieillissante (entretenue dans une nostalgie lénifiante) et quelques références joyeusement mêlées (le Blue Man Group né dans les années 1990 devient ici une bande de petits hommes verts qui doit plus au folklore païen qu’à l’univers de la science-fiction), cette deuxième moitié bouffonne peine à captiver durablement le lecteur après la plongée glaçante dans l’enfer de Positron.
Par le biais de cette fable absurde, Atwood pose la question de la place occupée par l’amour ; le cœur fait-il le poids face au sexe ou au cerveau ? Le doute est permis jusqu’au bout. Quelques références anglo-saxonnes (Le magicien d’Oz par exemple, évoqué à travers les cliniques Les Souliers Rouges et leur devise : « Rien ne vaut son chez-soi », mais aussi Shakespeare et Milton) passent inévitablement inaperçues dans la traduction malgré le travail de Michèle Albaret-Maatsch. Un roman inégal mais divertissant.