Inventaire

Du temps de mon adolescence, au début des années 1950, il n’était pas simple de se procurer les livres convoités, hors ceux de l’actualité éditoriale, par exemple les ouvrages relevant du surréalisme ; seules quelques rares librairies ou boîtes de bouquinistes offraient cette opportunité, à des prix souvent peu abordables par de maigres bourses !

Imaginaire Robert Desnos

Puis, un beau jour, le livre de poche fit son apparition. Si les surréalistes – dont je faisais alors partie – ont longtemps préféré les éditions dites « de luxe », c’est moins par élitisme que par nécessité paradoxale : un tirage de tête, accompagné de la gravure originale d’un artiste en voie de reconnaissance, leur permettait d’assurer les frais d’impression d’un livre où la poésie était chez elle. Et soudain, l’édition de poche venait changer la donne !

Après plusieurs décennies, avec sa collection « L’Imaginaire », Gallimard propose plus de 600 titres ; et notamment un nombre impressionnant d’œuvres surréalistes, ou assimilables. Ainsi, les textes de jeunesse d’Aragon, ceux d’avant le naufrage stalinien ; les écrits d’Artaud et une partie de sa correspondance ; André Breton, bien sûr, Philippe Soupault, René Crevel, Joë Bousquet, Robert Desnos, Michel Leiris, Raymond Queneau, Salvador Dalí, André Pieyre de Mandiargues ou Joyce Mansour, d’autres encore. On notera toutefois trois grands absents, à ce jour ; pour le premier, Julien Gracq, la chose s’explique simplement par le fait que ce compagnon de route du surréalisme ne voulait pas entendre parler du livre de poche ! Dommage. Pour le second, Jacques Prévert, une sombre affaire de droits, peut-être ; mais pour le dernier, Benjamin Péret, je ne voudrais pas que la subversion constante de ses écrits en soit la cause ! À voir…

Imaginaire Robert Desnos

Philippe Soupault, par Robert Delaunay (1922)

Tous ceux de la « mouvance » sont également présents, de Georges Bataille, Malcolm de Chazal, René Daumal, Maurice Fourré, Henri Michaux ou André Hardellet à Picasso lui-même, dont les deux pièces de théâtre peuvent à bon droit être considérées comme authentiquement surréalistes. Et je ne parle pas des « précurseurs », tous présents : Novalis, Rimbaud, Jarry, Apollinaire, Roussel ou Sade.

Un jour, André Breton déclara : « L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel ». Cette collection et son intitulé matérialiseraient-ils un début d’évidence ?


Robert Desnos, La liberté ou l’amour ! suivi de Deuil pour deuil. Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (n° 90), 168 p., 7,50 €

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