Si, dans le riche catalogue de la collection « L’Imaginaire », je choisis de mettre en vedette un livre qui n’est pas très représentatif de son esprit, si tant est qu’on puisse le définir, à savoir Les livres de ma vie de Henry Miller, ce n’est pas parce que cette autobiographie par les livres d’un gamin de Brooklyn, avide de lectures « comme un rat affamé », s’accompagne elle-même en appendice de plusieurs listes de « favoris », dont l’une, la plus nourrie (p. 416-488), fait la part belle aux écrivains français ; ce n’est pas non plus parce que Miller dédie deux chapitres enthousiastes, l’un à Blaise Cendrars, l’autre à Jean Giono ; ce n’est pas parce que Miller consacre de longues pages à une sorte de syncrétisme philosophique californien qui date un peu (1950) ; ce n’est pas pour ses intuitions au sujet de Rimbaud (« le Colomb de la jeunesse ») ou pour son culte de l’enfance : « L’enfance est un sujet dont je ne me lasse pas ») ; ce n’est pas pour avoir cité avec tant de ferveur les lettres de Van Gogh et la littérature pour enfant ; ce n’est pas parce qu’il conclut une longue « Lettre à Pierre Lesdain », le critique littéraire belge, par des réflexions sur la Bible ; et ce n’est pas pour s’être inscrit dans la lignée des grands Américains Emerson et Thoreau, Whitman et Melville ; ce n’est même pas pour avoir consacré un chapitre de psychologue à « Lire aux cabinets ».
Tout simplement, Miller dresse in fine la liste des « amis qui m’ont procuré des livres » : parmi ces amis, on découvre « Nadeau, Maurice, France » et je me plais à imaginer que cette libre et buissonnière « autobiographie » par les livres ressemble aux conversations que Maurice Nadeau a pu avoir avec Henry Miller lors de ses passages à Paris, dans les années cinquante, quand l’éditeur des Tropiques emmenait Henry Miller – « mon ami Miller » – et sa jeune épouse Eva dans la France profonde dans sa grosse voiture.