Police de l’imaginaire

Gertrude Stein, Autobiographie d’Alice Toklas

Gertrude Stein, peint par Pablo Picasso (1905)

Au centre de la couverture blanche glacée, les lettres vertes et bleu ciel se dessinent, fragiles dans le vide : Autobiographie d’Alice Toklas. La police « Courier » place la lettre et la question de l’écriture au centre du texte de Gertrude Stein. Affinée, retravaillée, elle restitue les tremblements et les accidents de la machine à écrire. On entend le bruit des touches frappées sur la page pour la première fois en 1933, on imagine la main qui rabat le cylindre vers la gauche, l’encre qui parfois tache et écrase les caractères sur la feuille, les coulées, les ratures. La typographie « Courier » laisse percevoir le travail de l’écrivain dans toute sa matérialité et sa modernité mécanique. Rapide et énergique, rythmique et sonore, l’écriture de Gertrude Stein s’accorde parfaitement à la machine à écrire et à ses caractères si particuliers. Le travail typographique de cette couverture presque nue, comme l’avait recherché à l’origine le graphiste Massin pour l’ensemble de la collection, abrite un monde qui se déploie en harmonie avec les pages du livre. Ici, malgré le blanc lisse, la couverture fait chaleureusement corps avec le texte.

Gertrude Stein, Autobiographie d’Alice Toklas

Les couvertures de « L’Imaginaire » nous marquent sans doute pour cela. L’accord parfait avec les textes, la création mutuelle de nouvelles lettres et de nouvelles écritures, sont une véritable prouesse graphique et éditoriale qui masque parfois les quelques petits défauts, les quelques petites irrégularités de certaines publications. Ainsi, la traduction datée de 1934 de l’Autobiographie d’Alice Toklas par l’intellectuel, grand ami de Gertrude Stein, et pétainiste notoire, Bernard Faÿ, semble parfois désuète, voire problématique. Pourquoi, par exemple, le « B » d’Alice B. Toklas, présent dans le titre de la version anglaise, et commenté par Gertrude Stein elle-même, a-t-il soudain disparu en français ? La préface de Bernard Faÿ, certes non dénuée de charme ancien, qui fait de « Miss Gertrude Stein le premier des grands écrivains de l’Amérique contemporaine », aurait elle aussi besoin de renouvellement.

Mais c’est peut-être avant tout la seule présence de textes aussi expérimentaux et exigeants que l’Autobiographie d’Alice Toklas, qui constitue la singularité et la force de la collection : le discours critique est ancien, lacunaire, la traduction plus que vieillie, mais le texte de Gertrude Stein, drôle et magnifique, expérimental à bien des égards, est édité en français, lu, vivant malgré tout, et, on l’espère, retraduit un jour.


Gertrude Stein, Autobiographie d’Alice Toklas. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Bernard Faÿ. Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (n° 53), 288 p., 9,65 €

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