Au XXe siècle, le Sahara a eu son explorateur-savant, Théodore Monod. Sous le titre Méharées et autres textes, volume de plus de 1 400 pages publié aux éditions Thésaurus-Actes Sud, sont rassemblés ses écrits littéraires dessinant non sans humour une fresque des régions sahariennes, de l’Atlantique au Nil, traversées durant sept décennies. Une façon de parcourir ce monde aujourd’hui évanoui.
Théodore Monod, Méharées et autres textes. Thésaurus-Actes Sud, 1 422 pages, 29 €.
« Il faut le regarder, ce Sahara, de plus près, au ras du sol, au triple point de vue du chamelier, du chercheur et de l’homme. Et tout d’abord parler du vrai désert. » (Théodore Monod, L’émeraude des Garamantes)
Durant sept décennies, Théodore Monod a arpenté le Sahara pour construire sur le grand désert un savoir multiple. Botaniste, zoologue, géologue, ethnologue, préhistorien, Monod fut un encyclopédiste saharien. Les textes rassemblés dans ce volume par Actes Sud sont la part publique, littéraire, d’une œuvre scientifique comprenant des centaines d’articles et de notes.
Comme l’Amérique tropicale avait illustré Alexandre de Humboldt, le Sahara a eu son explorateur-savant,Théodore Monod. Deux très longues vies consacrées au savoir et à sa diffusion, tendues entre l’empirisme de l’enquête de terrain et la méditation sur la portée de ce travail. Monod se distingue de son illustre prédécesseur par de fréquentes touches d’humour dans la relation de ses explorations et de ses réflexions. La question de l’eau, la gestion des dromadaires, la frugalité du bivouac, la distinction des vraies découvertes et des fausses trouvailles lui permettent de dissiper un mirage, celui du savant-héros.
Du Jardin des plantes au grand désert
Théodore Monod (1902-2000), descendant d’une lignée de pasteurs, choisit d’être le compagnon des nomades. Cette vocation, née dans la fréquentation assidue du Jardin des plantes à Paris, fait de lui l’expert du paysage minéral le plus étendu de la planète. La méharée est le parcours mené sur un dromadaire de selle (un méhari), et la connaissance de l’immensité saharienne, avant le 4 x 4, l’avion et le satellite, a été permise par cette pratique : Monod est le virtuose tenace de cet empirisme chamelier. Il a appris de ses guides comment choisir ses méharis (des pieds sains et une bosse pleine et souple), comment les ménager en réduisant leur charge (ce qui implique de les soulager en marchant) et comment adopter pour la nourriture et la boisson un régime très frugal.
L’initiation à la vie au désert débute en 1923 par un Paris-Dakar pour échapper à une épreuve affective, l’épisode ultime est une expédition en 1993, pour laquelle le nonagénaire accepte d’être motorisé.
L’immensité et la diversité sahariennes offrent au naturaliste un champ d’explorations et d’études pour plusieurs décennies. Ce thésaurus est composé de sept textes qui, rassemblés, forment une fresque des régions sahariennes, de l’Atlantique au Nil, du Maghreb au Sahel. In fine, de campagne en campagne, l’œuvre de Monod est coextensive du grand désert, elle le couvre dans sa totalité et ses parties. En faisant halte au long de ces 1 500 pages, on se demande parfois si notre temps présent, où le Sahara connaît d’autres tempêtes que celles de ses sables, permettrait une telle ouverture et une telle continuité dans l’enquête, alors que la technique multiplie les moyens d’observation.
Des déserts d’hommes
Sous la grande ombre toponymique « Sahara », Théodore Monod restaure les désignations vernaculaires, arabes et touareg – Tanezrouft, Majâbat al-Koubrâ, le Mreyyé… –, que les Sahariens ont données à ces unités de plusieurs dizaines de milliers de km2 mais dont la vraie dimension est donnée par le nombre de journées de méharée entre deux probables points d’eau potable. Des cartes et des croquis situent ces récits, tracent les pistes. Des lexiques initient à la terminologie saharienne : végétation tenace, sables variés, cailloux anguleux, qualité de l’eau.
Dans le désert, la sociabilité est une condition de survie ; Théodore Monod sait que le savant a besoin de ses guides et de ses aides, et ceux-ci considèrent avec bienveillance la curiosité insatiable de ce pair en endurance. Il arrive souvent que cette poignée d’hommes accablés de chaleur rencontre, foule et observe les vestiges que les Sahariens d’un passé proche ont laissés : pierre taillée, os travaillé, harpons, coquillages, enfin, dessins sur parois. Monod évoque ce Sahara vert, lacustre, non comme un mirage paradisiaque mais comme un moment proche, de nature et de cultures vivantes.
Il se situe aussi dans la longue lignée des voyageurs qui, depuis l’Antiquité, ont traité du Sahara, de sa rigueur, de ses richesses. Lecture attentive, éclairante, parfois critique.
Sa forte culture biblique permet au fils de pasteur de donner du sens à cette expérience du désert, mais le savant positiviste veille au grain, au titre de la construction du savoir.
Le roman saharien et colonial a été un genre dont Théodore Monod moque l’exotisme un peu aride. Son esprit et son style sont ceux d’un écrivain voyageur qui a vécu une expérience unique dans ce monde saharien du XXe siècle, aujourd’hui évanoui.
À cette somme, qui n’est jamais un Monod-logue, on peut associer la figure de Théodore : « Il faut un minimum / une bible, un cœur d’or / un petit gobelet d’aluminium » (Alain Souchon, Avec Théodore).