À un certain moment, dans Nadja, André Breton déclare ceci : « Quelques jours plus tard, Benjamin Péret était là ». Dans son livre André Breton a-t-il dit passe [1], Charles Duits écrit de cette phrase « qu’elle attend avec une sérénité monstrueuse que tout l’avenir la corrobore, justifie l’importance que Breton attache à la venue de Benjamin Péret. Phrase nue et menacée ».
André Breton et Benjamin Péret, Correspondance 1920-1959. Présentée par Gérard Roche. Gallimard, 464 p., 29 €
De fait, Péret venait d’entrer dans la vie de Breton pour ne plus en sortir. Et si, dans ses lettres, Breton passe, au fil du temps, de « Très cher Benjamin » à « Cher petit », il faut y voir les mouvements du cœur d’un « Grand frère » envers celui qui vient emplir sa vie d’une attention complice de tous les instants, non une certaine hauteur méprisante que seuls les ennemis du surréalisme tentent de mettre en avant, et en vain bien entendu ! En mars 1943, Péret ne termine-t-il pas sa lettre à André par ces mots : « Je t’embrasse en véritable frère que tu es pour moi ». En effet, rien, jamais, ne pourra séparer ces frères amis, jusqu’à ce que l’un d’entre eux, Benjamin, ne fasse le grand saut, créant ainsi un vide considérable qui finira par absorber, dix ans plus tard, le groupe surréaliste en son entier, Breton ayant pris, dans l’intervalle et à son tour, la poudre d’escampette à la recherche de « l’or du temps ».
Avant de souligner les points les plus significatifs de cette correspondance croisée, quelques mots concernant la présentation de Gérard Roche, et la chronologie par lui établie qui vient clôturer le volume. Si la présentation est correcte, sans plus, sachant qu’il y manque la flamme nécessaire que seul un homme ayant fait sien le combat surréaliste aurait pu lui donner, la chronologie laisse à désirer bien davantage ; par exemple, alors que Roche mentionne certains ouvrages de référence ayant sa faveur, il s’arrange pour ne pas mentionner le meilleur livre jamais écrit sur Péret, celui très récent de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret. L’astre noir du surréalisme, sans doute parce que son auteur n’a pas sollicité l’investiture de l’Association des amis de Benjamin Péret, dont Roche est le président et le gardien en chef.
Au passage, étant moi-même l’un des membres fondateurs de cette association, il y a beau temps que j’ai cessé toute relation avec ses actuels animateurs ! C’est peut-être aussi pourquoi, lors du séjour de Péret sur l’île d’Oléron, en juillet-août 1959, qui précédait de quelques semaines seulement son décès, le 18 septembre, si, dans la chronologie, Roche mentionne bien la présence à ses côtés de Gérard Legrand et de Clarisse, son épouse, il « oublie » soigneusement de mentionner celles de Nicole Espagnol et de moi-même, alors que les toutes dernières photographies de Benjamin ont été prises soit par ma compagne, Nicole, soit par Clarisse, comme en témoignent certaines reproductions, notamment dans le livre de Schwartz. Or, ces ultimes images du poète, entouré de tous ses amis, ne sont pas sans intérêt et, à ce titre, méritaient mention. Tout ceci pour que le lecteur sache bien « d’où je parle », comme on disait en mai 68. Bref.
Mais il y a plus gênant, on va le voir. À la date du 13 mai 1921, en abordant le célèbre procès Barrès intenté pour « atteinte à la sûreté de l’esprit » par ceux des dadaïstes qui n’allaient pas tarder à redevenir des surréalistes, Roche indique que Péret, dans le rôle du témoin à charge, se présente en « capote de soldat français, répondant en allemand et évoluant sur la scène au pas de l’oie » ; ce qui n’est pas faux, à ceci près que c’est en tant que « soldat inconnu », le visage caché par un masque à gaz, que se présentait Péret, deux ans après l’armistice, pas en « simple soldat ». Vous voyez la différence ? D’ailleurs, voici comment Barthélémy Schwartz, lui, relate la séquence : « ‟Sie verstehen nicht ?”, avait demandé le président Breton, ‟Nein. Ich bin kaputt” avait répondu le soldat inconnu. ‟Raus !” avait ordonné le président au soldat inconnu au garde-à-vous qui avait aussitôt quitté la scène au pas de l’oie. C’est à cet instant que la salle avait explosé de colère […] Une partie des spectateurs choqués dans leurs positions nationalistes s’étaient mis à déclamer La Marseillaise, tandis que d’autres étaient montés sur scène pour en découdre avec le soldat inconnu ». Vous voyez la différence, deux fois ?
Retour à la correspondance. Entre 1920 et 1936, elle est clairsemée ; deux raisons principales à cela : d’une part, les deux amis se voient pratiquement tous les soirs, à quelques petites escapades près ; d’autre part, le 12 avril 1927, Péret épouse la cantatrice Elsie Houston, part avec elle au Brésil d’où elle est originaire, et ne reviendra en France que début 1932. Sur place, il adhérera à la Ligue communiste (opposition), deviendra père d’un garçon prénommé Geyser (!) par ses soins, et trouvera moyen de se faire expulser pour menées subversives, c’est bien le moins ! Si des lettres ont été échangées durant cette période, elles ont disparu, à l’exception d’une de Péret à Breton, datée du 2 mai 1930, dans laquelle il s’insurge contre le pamphlet anti-Breton intitulé Un cadavre, dû à l’initiative de quelques anciens surréalistes, Baron, Desnos…
1936 : un soulèvement ouvrier en Espagne tente de faire échec au coup d’État franquiste, ce qui déclenche la révolution. Le 27 juillet, Péret écrit à Breton : « Je compte partir pour l’Espagne vers vendredi. J’ai une envie délirante de participer à la musique ». Il n’en reviendra que fin avril 1937, mais ses lettres vont donner une image bouleversante et désolante de ce qui se passe là-bas. Dans un premier temps, c’est l’exaltation qui l’emporte ; sa première lettre, datée du 11 août, fait le point : « Mon très cher André, Si tu voyais Barcelone telle qu’elle est aujourd’hui, émaillée de barricades, décorée d’églises incendiées dont il ne reste plus que les 4 murs, tu serais comme moi, tu exulterais […] Les anarchistes sont pratiquement les maîtres de la Catalogne et la seule force qu’ils aient en face d’eux est le POUM […] Nous avons 15 000 hommes armés et ils en ont 40 à 50 000 […] Les communistes qui ont fusionné avec trois ou quatre petits partis sont une force négligeable […] Je dois partir au front ces jours-ci en mission politique ».
Pourtant, le 26 août, il souligne : « Les choses traînent à cause du gouvernement français qui entrave de toutes les manières l’armement de la Catalogne et de Madrid […] Il règne, chez les anarchistes, une pagaille dont on n’a pas idée ». Le 5 septembre, Péret commence à déchanter : « Ici on retourne tout doucement à l’ordre bourgeois. Tout le monde s’avachit lentement. Les anarchistes s’embrassent sur la bouche avec les bourgeois de la gauche catalane et le POUM leur fait des sourires à n’en plus finir […] pour l’instant dans le domaine politique et économique, tassement de la révolution ».
Le 15 octobre, il annonce : « J’ai ici une histoire d’amour qui me retient jusqu’à ce que la jeune personne puisse m’accompagner à Paris » ; il s’agit de Remedios Varo, peintre espagnole, qui deviendra sa compagne jusqu’en 1947. Quelques lettres plus tard, le 7 mars 1937, il déclare à Breton qu’il a désormais rejoint une milice anarchiste, le bataillon Nestor Makhno de la division Durruti, en précisant : « toute collaboration avec le POUM était impossible. Ils voulaient bien accepter des gens à leur droite, mais pas à leur gauche […] En outre, sous l’impulsion des staliniens la révolution suit un cours descendant qui mène tout droit à la contre-révolution violente […] Je voudrais pouvoir te raconter ici toutes les canailleries des staliniens qui sabotent ouvertement la révolution avec l’appui enthousiaste évidemment des petits bourgeois de toutes nuances ». Dégoûté et découragé, Péret finira par regagner la France fin avril 1937. On connaît la suite…
Si j’ai beaucoup insisté sur ces lettres éclairant de l’intérieur les sinistres manipulations qui amenèrent Franco au pouvoir, c’est parce qu’elles constituent l’un des deux pôles principaux de cette correspondance ; et si ce sont les lettres de Péret qui dominent ici, c’est bien parce qu’il avait beaucoup à dire, mais aussi parce que Breton conservait tout, alors que Péret, n’ayant jamais eu de vrai domicile, en perdait énormément, tout particulièrement en pareilles circonstances !
Le deuxième pôle capital, c’est l’échange très riche entre les deux hommes durant la période 1939-1948, sachant que Breton et les siens débarqueront à New York en juillet 1941, tandis que Péret et Remedios n’arriveront à Mexico que le 21 décembre, l’Amérique ayant refusé son visa au poète en raison de son passé jugé « subversif », ce qui d’ailleurs n’était pas faux ! Je vais donc essayer maintenant de mettre en évidence les moments les plus intenses et les plus significatifs des longues lettres échangées alors par les deux hommes, car il est impossible dans le cadre de cette chronique d’en montrer toute l’ampleur.
Ainsi, dans sa lettre du 31 mars 1943, Péret fait-il état de la publication, à Mexico, du premier numéro de la revue DYN, fondée et dirigée par Wolfgang Paalen, peintre et théoricien surréaliste. Or, dans ce numéro, un article de Paalen le perturbe, « Aperçu pour une morale objective », dont il dit partager les conclusions, ajoutant toutefois : « Mais pourquoi part-il en guerre contre la dialectique pendant la première partie pour ensuite raisonner dialectiquement ? Car le but devenant moyen n’est rien d’autre qu’une idée dialectique ». En fait, c’est au matérialisme dialectique que s’attaque Paalen, non au raisonnement dialectique proprement dit, et c’est bien Marx qui est visé. Mais brûlons quelques étapes puisque, après tout, elles sont faites pour cela !
Lorsque Breton qui, de son côté, a créé la revue VVV en compagnie de Marcel Duchamp et de quelques complices exilés, croise le chemin des Œuvres complètes de Charles Fourier, à New York, en 1945, c’est tout un pan de sa conception révolutionnaire du monde qui prend une nouvelle orientation, grâce au principe de l’écart absolu, au cœur des théories de l’utopiste-poète. Déjà sérieusement ébranlé par l’horreur stalinienne, mais aussi très déçu par les tenants de Trotski et de la IVe Internationale, Breton cesse de s’accrocher au marxisme pur et dur, se rapproche de la veine libertaire, et trouve en Fourier « la plus grande œuvre constructive qui ait jamais été élaborée à partir du désir sans contrainte », dira-t-il plus tard à Aimé Patri (1948). Et, le 23 février 1945, il écrit à Péret : « En dernière analyse, Paalen est le seul à avoir tenté quelque chose et c’est si grand dommage que ce quelque chose ait été entrepris un peu [c’est moi qui souligne] contre nous. Mais je garde assez de liberté pour reconnaître ce qu’il est et ce qu’il peut. Et, sur le plan général, j’estime que dans les circonstances présentes, il est moins important de se maintenir en règle avec tels principes formulés que de demeurer en vie et d’en témoigner par des suggestions nouvelles ». Par la suite, Péret tentera de concilier la critique de la société fondée sur les antagonismes sociaux analysés par Marx et une vision plus utopique du monde, en cloisonnant ses activités politiques et son action poétique au sein du groupe surréaliste. Pas évident, mais lucide, quand tant d’autres sombreront dans la confusion !
André Breton connaît de grands accès de découragement, voire de pessimisme, quant à l’avenir du surréalisme. Dans une très longue lettre du 4 janvier 1942, il déclare à Péret : « N’oublie pas que c’est sur toi que je compte essentiellement pour donner une impulsion nouvelle à ce qui nous a toujours motivé. Je te conjure, en particulier, de ne pas te consacrer trop exclusivement à l’action politique […] Je suis absolument convaincu de ton pouvoir beaucoup plus efficace sur un autre plan où il faut que nous nous hâtions de nous recomposer […] À cet égard je me fie entièrement à toi parce que tu es l’homme de l’audace, que tu as toujours eu horreur de ce qui était déjà entrepris, déjà gagné, parce que tu es aussi l’homme de la conscience révolutionnaire jamais en repos […] Il faut être prêt à sacrifier beaucoup : ce que nous garderons et ce que nous trouverons n’en aura que plus de prix ».
Par une également longue lettre, Péret lui répond le 12 janvier : « Je n’ai nullement l’intention de me consacrer à la politique mais celle-ci ne peut me laisser indifférent […] Il s’agit, à mon avis, de marquer notre position en ce domaine et d’agir sur le plan qui est le nôtre […] Ce qui me semble avoir grandi à nos yeux ces dernières années et qui pourrait peut-être constituer un point de départ, c’est le ‟merveilleux” sous toutes ses formes. Y a-t-il une place pour un merveilleux moderne ? […] Je crois aussi que si nous réussissons à mettre sur pied quelque chose de nouveau, il nous faudra abandonner le mot surréalisme pour couper avec le passé… ».
On sait que ce dernier argument, formulé au plus profond d’un doute où se débattaient alors les deux amis, sera définitivement abandonné sur le bord de la route lorsqu’ils se retrouveront à Paris, après la guerre. Sa radicalité ne tenait pas, une idée aussi décisive que le surréalisme ne pouvant, sur un simple coup d’éponge, s’effacer de l’esprit qui l’avait conçue au profit de quelque chose, d’encore indéterminé, qui, à l’évidence, ne pouvait que perdre en exigence et en intensité. Un jour, plus tard, d’autres s’y casseront les dents !
Déjà, en 1942, le 8 juin pour être précis, Breton avait anticipé sur ces inquiétudes en rédigeant, pour le numéro 1 de VVV, un texte destiné à « agiter la triste bouteille de ce temps », titré « Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme – ou non ». On sait à présent que le « non » n’était là que pour relancer la machine, la suite de l’histoire l’a prouvé. Le 3 septembre de la même année, Péret fait le point de son côté : « La plupart des gens qui sont avec nous ne sont surréalistes que du bout des lèvres et n’obéissent qu’à des motifs d’intérêt personnel et d’ambition. Je suis persuadé que d’ici quelques années il n’en restera à peu près rien et que, par contre, nous trouverons en rentrant en France des gens jeunes et qui auront quelque chose à dire de nouveau ». Ainsi l’un comme l’autre perçoivent-ils obscurément que ce que l’on nommera plus tard « le troisième convoi » va, un jour ou l’autre, après la guerre, se former sur les voies de l’espoir et du désir.
Entre avril et mai 1943, deux lettres démontrent que, par-delà l’indéfectible amitié qui les lie, les deux hommes n’hésitent pas à critiquer leurs activités respectives, ou à les exalter. D’abord, le 21 avril, Péret se lance dans une série de remarques négatives à propos du numéro 2 de VVV qu’il vient de recevoir : « Que de médiocrités, aussi bien dans les textes que dans les dessins […] Chagall ! Tout de même ! Qu’est-ce que ce vieux con a à voir avec nous ! […] Cette revue est un peu comme une conversation de gens ne parlant pas la même langue ». Le 26 mai, Breton, vexé, lui écrit : « Il est vrai que ta lettre au sujet de la revue m’avait laissé sur un goût un peu amer […] Il est, me permettrai-je de te dire, plus facile de prétendre à l’impeccable en n’entreprenant rien de collectif […] Mais ta lettre du 20 mai, que je reçois ce matin, fait bien autre chose que m’attrister. Elle me stupéfie ».
Ici, un bref retour en arrière, avant de revenir à Breton. Le 24 juin 1942, Péret lui avait annoncé : « Je veux essayer de faire une sorte d’anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique latine du point de vue du merveilleux ». Dans la lettre du 20 mai 1943 dont parle Breton, Péret fait état d’une proposition des revues Partisan Review et View de publier la préface de ce livre, ce contre quoi s’insurge l’auteur des Manifestes : « Comment, tu écris un texte de toute importance, cette préface. C’est même la première fois que tu te décides à t’exprimer d’une manière autre que strictement poétique […] et c’est mieux qu’une réussite : tu donnes, du premier coup […] le premier grand texte manifeste de cette époque, ce que nous pouvons appeler entre nous un chef-d’œuvre ». Suivent d’autres compliments, et un coup de gueule contre le sieur Macdonald, auteur des propositions sur lesquelles Benjamin Péret s’est imprudemment engagé.
Plus tard, le 30 juin, Breton lui écrira : « Le numéro de View doit paraître aujourd’hui et, comme je le redoutais, il doit contenir un extrait de ta Préface. Pour y parer, je n’ai trouvé d’autre moyen que de publier le texte intégral en plaquette ». C’est ainsi que, sous le titre La parole est à Péret (New York, Éditions Surréalistes, 1943), et précédé d’un liminaire signé par André Breton, Marcel Duchamp, Charles Duits, Max Ernst, Matta, et Yves Tanguy, ce texte, devenu lui aussi légendaire, fera une première apparition, avant de retrouver sa place légitime de préface lors de la publication tardive, et posthume, de l’anthologie concernée [2]. D’une certaine manière, Breton passait à Péret le relais, chacun d’eux venant de lancer un « manifeste » destiné à éclairer un futur qui s’approchait à grands pas.
La vie en exil est parfois très dure pour les deux amis : à New York, Breton en est réduit à faire le speaker dans la section française de la Voix de l’Amérique, sur l’intervention de Pierre Lazareff lui aussi exilé, tandis que Péret, à Mexico, ne parvenant pas à trouver un travail, se demande parfois s’il pourra simplement manger à sa faim. La vie amoureuse se complique : en octobre 1942, Breton et Jacqueline Lamba, la mère de la petite Aube, se séparent ; en février 1943, Elsie Houston, la mère de Geyser qui avait conservé de bons rapports avec Péret, se suicide à New York ; en décembre, Elisa Claro entrera dans la vie de Breton, suite à une rencontre au restaurant Larré. Ces épisodes feront l’objet de discrètes mentions dans la correspondance qui privilégie les questions d’ordre stratégique, la « pudeur » des deux hommes les portant à une certaine réserve.
L’activité se poursuit, tant bien que mal ; outre la revue VVV, Breton organise, avec Marcel Duchamp, l’exposition « First Papers of Surréalisme » à la Whitelaw Reid Mansion, sur les conseils de Peggy Guggenheim ; Péret, de son côté, en 1945, achève le manuscrit du Déshonneur des poètes, qui règle leur compte, notamment, à ces « canailles d’Éluard et d’Aragon [qui] tiennent le haut du pavé à Paris ». En voyage à Port-au-Prince (Haïti), Breton, accompagné d’Elisa, prononce un discours au Club Savoy, le 7 décembre 1945, qui entraînera une insurrection précipitant la chute du gouvernement Lescot. Il sera de retour à Paris le 25 mai 1946. Dès le 14 août, il adresse à Péret une lettre qui est une véritable déclaration d’amitié, qu’on en juge : « Mon très cher ami, Benjamin, tu ne peux savoir comme je t’attends. Tant que tu n’es pas là, rien ne s’éclaircit pleinement pour moi. Ce que je mets des jours à démêler, je sens que nous le débrouillerons ensemble en un tournemain. Il m’arrive de plus en plus de penser à toi avec gravité et cette pensée met en cause le sort, le destin dont parlent les livres […] C’est toi qui m’as ému de jour en jour davantage, de près comme de loin […] Tu ne peux savoir à quel point ta position est forte à Paris dans la jeunesse. Les lettres des jeunes gens et d’inconnus s’accumulent sur ma table par centaines, voilà qui fixe encore mieux la situation actuelle que tout le reste ».
De sérieuses difficultés financières empêcheront toutefois le retour de Péret pendant encore près de deux ans ; en mai 1949, seulement, il sera là, et bien là ! Et c’est par un magnifique poème intitulé « Toute une vie », rédigé en juillet 1950, qu’il rendra hommage à Breton en célébrant, à son tour, leur longue et inébranlable amitié.
Bon. Je sens que cet article devient trop long, alors qu’il reste encore beaucoup à relater. Tout ce qui se dira, s’écrira, s’accomplira durant la période qui prendra fin avec la mort de Benjamin en septembre 1959, le lecteur en retrouvera la riche trace dans les lettres qui continueront de nourrir les rapports exceptionnels des deux hommes, tout au long des quelque 200 pages qui restent au stade où nous en sommes ; et c’est le surréalisme, en son essence même, qui en sortira plus subversif que jamais, la révolte et la poésie au poing !
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Charles Duits, André Breton a-t-il dit passe, Denoël, 1969.
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Benjamin Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1960.