Onuma Nemon sort de l’anonymat

Pour lui, pour ses lecteurs, c’est un événement : Onuma Nemon apparaît en public. L’écrivain secret, également sculpteur et graveur, avait fait vœu de discrétion médiatique et de réclusion dans les monts d’Ardèche. Il a accepté pour la première fois de commenter son travail et sa vie auprès d’En attendant Nadeau. Initié il y a plus de cinquante ans, son projet littéraire, hors normes esthétiques et éditoriales, est l’œuvre d’une vie.

« Mon nom vous importera peu comme cela est le cas pour tout gitan » : ainsi commence États du Monde (éditions Mettray, 2016), le sixième volume et dernier en date de la Cosmologie, texte démesuré, fascinant, composé de plusieurs dizaines de milliers de pages dont seuls certains morceaux ont fait l’objet d’une publication. Dans une lettre de 1972, Roland Barthes saluait déjà les premiers textes confidentiels de l’écrivain, avec l’intuition de la liberté fondamentale et de la force évidente de l’œuvre à venir : « Je suis impressionné par la masse de langage hors-mesure que vous avez livré ; ce qui me frappe, c’est l’absence vigoureuse de laisser-aller, l’érosion continue du faux désordre, la recherche d’une nécessité qui ne doive rien à aucun code, à aucun empressement préalable. Cette nécessité, n’étant préparée par aucune culture (ou du moins de très rares lambeaux de culture marginale), est encore très obscure (même son obscurité n’est pas codable). »

Cette échappée, cette évasion (Onuma Nemon est un vieux compagnon de la revue et des éditions Mettray, nom de la prison où fut enfermé Jean Genet), prend la forme d’une longue épopée au Pays des Morts, « L’Autre Monde », celui des « Grands Ancêtres », où un narrateur indéterminé accumule les rencontres fugaces avec des êtres entre la vie et la mort. L’ensemble du texte ressemble à une succession extrêmement contrôlée d’apparitions et de disparitions de figures, de voix, de moments, d’images, « un mitraillage de Voix dont j’ai essayé au mieux de rendre compte (sauf leur simultanéité) ». Comme la voiture qui change de couleur, le livre d’Onuma Nemon se métamorphose, joue avec son lecteur, renverse les codes établis du roman dans une vaste fête carnavalesque, qui célèbre aussi de grands ancêtres collectifs : révolutionnaires, déportés ou combattants, nos Grands Ancêtres du XXe siècle.

« Je peux venir vous parler, car le processus est terminé », a répondu Onuma Nemon lorsque En attendant Nadeau lui a proposé cet entretien. Principalement rédigé entre 1984 et 2000, son texte se trouve aujourd’hui à une phase de coupe et de formalisation, qui appelle à évoquer son élaboration passée, ses influences et les possibilités d’en poursuivre l’aventure.


Cet entretien a été publié sur Mediapart.

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