Les sonates pour violon et piano d’Ernest Bloch

Disques (5)

Une nouvelle chronique consacrée à Ernest Bloch est l’occasion de découvrir ses deux sonates pour violon et piano, enregistrées par Nurit Stark et Cédric Pescia et publiées par le label Claves Records. L’album contient en outre la sonate pour piano seul de Bloch.


Bloch Sonatas. Nurit Stark, violon. Cédric Pescia, piano. Claves Records, 17 €


Ernest Bloch compose en 1920 sa première sonate pour violon et piano. D’après le livret, « c’est l’œuvre d’un révolté, décidé à se faire entendre envers et contre tout » : il faudra sans doute plusieurs écoutes pour apprivoiser une pièce que Béla Bartók jouait avec des violonistes un an avant de composer sa propre première sonate pour violon et piano. La seconde sonate, « Poème mystique », date de 1924. Le livret nous apprend que, lui-même déconcerté par sa première sonate, le compositeur « songea à écrire une œuvre d’un caractère diamétralement opposé ». Elle est donc nettement plus aisée à entendre.

Bloch, paraît-il, recommandait de jouer ses deux sonates l’une à la suite de l’autre. Mais pourquoi ne pas commencer l’écoute par la seconde ? S’il ne le propose pas, le disque le permet malgré tout ! Cette seconde sonate tient en un mouvement unique, long de plus de vingt minutes, qui fait entendre une multitude de mélodies et de sonorités. Celles-ci contiennent la poésie de l’œuvre ; son caractère mystique est, quant à lui, intimement lié à l’écriture modale utilisée. La musique du plain-chant, cité par le compositeur comme l’indique le livret, est modale. Si ces citations peuvent échapper aux auditeurs, quoi qu’il en soit l’oreille sera flattée par la variété des atmosphères reflétant celle des modes.

Nurit Stark et Cédric Pescia, en excellents interprètes, usent de tout leur talent pour faire de cette sonate un véritable « poème mystique ». Ils ont en commun une sonorité à la fois chaleureuse et limpide ; on perçoit qu’elle est issue d’une belle réflexion sur l’œuvre. La violoniste, selon les mélodies, sait les mettre en valeur par la présence ou l’absence de vibrato. Le pianiste, grâce à un toucher tout en nuances, émet des sonorités d’une richesse incroyable.

Bloch Sonatas. Nurit Stark, violon. Cédric Pescia, piano

Agitato, le premier mouvement de la première sonate l’est assurément sous l’archet de Nurit Stark et les doigts de Cédric Pescia. On a l’impression que les deux interprètes courent déjà depuis un moment quand ils se font entendre des auditeurs et les convient dans une course musicale effrénée : course contre les notes, course contre les rythmes, course contre le temps. C’est également à un défi sonore que se livre Nurit Stark : il faut une audace folle pour produire un tel son de violon. Ce son, déchirant, devient très vite une obsession et revient régulièrement pour rappeler l’indication initiale, agitato, demandée par le compositeur. Ce dernier indique près de vingt changements de caractère dans ce seul premier mouvement ; les passages plus calmes restent alors sous-tendus par le souvenir auditif des premières notes. Le pianiste suit ou précède de près les réponses de la violoniste aux demandes du compositeur. Les passages marcato et feroce prennent ainsi beaucoup de relief. Mais aussi, le piano introduit le premier moment calmo et le toucher de Cédric Pescia y est d’une grande douceur. Un peu plus tard, le passage avec sourdine au violon est annoncé avec délicatesse par le piano.

Le second mouvement, molto quieto, débute par ce qui constitue, pendant près d’une minute au piano, une sorte de basse obstinée. On sait gré à Bloch de nous offrir un moment de repos après le premier mouvement. Le compositeur ménage un effet admirable en faisant entendre les deux voix du piano, seules, avant de glisser entre elles la partie du violon. Et Nurit Stark se love littéralement entre les aigus et les graves de Cédric Pescia : on savourerait inlassablement cette belle mélopée du violon, enveloppée par le piano. Cependant, Bloch fait bientôt entendre certains rythmes du premier mouvement. On s’achemine dès lors vers une tension qui ne sera jamais aussi forte que celle du premier mouvement mais les interprètes la rappelleront à notre mémoire, par la sonorité du violon qui nous est devenue familière et par une accélération de la pulsation. Le calme revient ensuite avec les harmoniques du violon que Cédric Pescia imite au piano : c’est fascinant de beauté.

Le début du troisième mouvement annonce une conclusion dramatique qui, en fin de compte, n’arrive pas. L’écriture du piano, presque exclusivement en accords pour une partie de ce mouvement, traduit bien la « marche implacable » décrite par Bloch. Cédric Pescia parvient à donner la majesté qui s’impose ici mais en laissant toute sa place au violon de Nurit Stark. De nombreuses citations du premier mouvement se mêlent à de nouveaux motifs mélodiques. Bloch se plaît également à réutiliser certains procédés du second mouvement. Dans un long passage en basse obstinée, Cédric Pescia fait gronder la tessiture grave du piano, quand dans le même temps Nurit Stark développe une mélodie en demi-teinte qui finit enveloppée par les deux mains du pianiste : on peine à suivre cette mélodie qui se révèle une fausse piste pour l’oreille puisque le motif de la basse se retrouve, après quelques accords, sublimé dans le suraigu du violon. Le mouvement atteint finalement un épilogue lent et apaisant pour l’auditeur qui ne désire sans doute qu’une chose : poursuivre l’écoute avec le « Poème mystique ». Ernest Bloch avait bien raison de vouloir nous faire entendre ses deux sonates à la suite !


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