Le nouvel essai de Yuval Noah Harari, sous-titré Une brève histoire du futur, apparaît sur les tables des libraires auréolé d’une réputation de bestseller. Il propose le portrait d’un nouvel homme dénué de libre arbitre, pur réceptacle de ses gènes, chez qui les réactions biochimiques remplacent les sentiments. Un nouvel homme voué à être remplacé par les algorithmes dans la plupart des tâches qu’il exécute, et qui songe à se placer des nano-robots dans la tête, pour « s’augmenter ».
Yuval Noah Harari, Homo Deus. Une brève histoire du futur. Trad. de l’anglais (Israël) par Pierre-Emmanuel Dauzat. Albin Michel, 464 p., 24 €
« Traduit dans une quarantaine de langues », annonce la promotion. Le propos de cette « nouvelle bible » (rien que ça) se veut large, « grand public », et très renseigné. Il tombe à pic alors que les grandes sociétés mondiales (Google, Facebook et Apple, etc.) investissent massivement sur les nouvelles technologies liées à l’intelligence artificielle : IA, Data, Cyborg, Drone. Yuval Noah Harari se propose d’appréhender ces sujets et donc d’imaginer l’organisation de la société qui en découle, dans un cadre bien déterminé.
Car Harari est un défenseur éloquent du système capitaliste, bien qu’il dise chercher à en prévenir les dérives. Mais il se place toujours en défenseur d’un « progrès » inéluctable, corrélé à une croissance constante et infinie. Il peut ainsi peindre un XXIe siècle où « les humains se mettront en quête d’immortalité, de bonheur suprême et de divinité. Ce n’est pas une prédiction très originale ou perspicace. Elle reflète simplement les idéaux traditionnels de l’humanisme libéral. Comme l’humanisme a de longue date sanctifié la vie, les émotions et les désirs des êtres humains, il n’est guère surprenant qu’une civilisation humaniste veuille maximiser la durée de vie, le bonheur et le pouvoir des êtres humains ».
Mais, plutôt que l’humanisme, on trouve au cœur de cette prédiction la « révolution transhumaniste ». Ce mot lourd de sens est porteur de craintes, que ne dissipe pas vraiment Harari : la vision qu’il développe est, comme souvent, porteuse d’un infantilisme qui ne respecte pas l’idée que nous pouvons nous faire de l’existence. Pour de nombreux tenants de cette doctrine, une vie humaine est trop courte, trop limitée, il y a pour eux une impossibilité à accepter la mort.
Harari a un avantage dans la « compétition » des transhumanistes et assimilés : c’est qu’il développe assez bien les objections à ce qu’il décrit comme irrémédiable. Ainsi, pour lui, résumer le monde, et plus particulièrement les individus, en algorithmes est une aberration. On est heureux de le lire. Les sciences cognitives sont loin de comprendre le cerveau ; la question de la conscience résiste encore à tout appareil de mesure. Pourtant, le transhumanisme s’imposera quand même, assure l’auteur. À l’instar d’une religion ou d’une idéologie, cette révolution nous fera basculer dans une nouvelle « fiction collective ». « La frontière entre l’histoire et la biologie est susceptible de se brouiller : non parce que nous allons découvrir des explications biologiques aux événements historiques, mais parce que des fictions idéologiques serviront à réécrire des brins d’ADN. »
Harari se pense sans doute comme un lanceur d’alerte, à la manière des (meilleurs) auteurs de science-fiction. Il a pour objectif de renverser les hiérarchies entre les problèmes de court terme, comme le terrorisme, les problèmes de moyen terme, comme le réchauffement climatique, et le problème de fond qui serait : la fin de l’homme. Mais, évidemment, il ne peut rien conclure sur le sujet. Il est vrai que les mentalités, concernant les possibilités « d’augmentation » de l’homme, sont fort différentes : la Chine et la France auront-elles les mêmes réactions face aux puces cérébrales ? En tout cas, voici un livre intéressant et prudent, bonne introduction au questionnement sur le monde dans lequel nous entrons. Et les trois interrogations qu’il nous invite à nous poser régulièrement ne sont pas à négliger, qu’on souhaite contrer le mouvement ou le suivre :
Les organismes ne sont-ils que des algorithmes ?
De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse ?
Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand les algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons ?