Entretien avec Jean-Pierre Lefebvre et Georges-Arthur Goldschmidt
Jacques Derrida a dit toutes les manières dont la traduction pouvait « relever » un texte : elle le fait se lever de nouveau et à neuf dans une langue ; elle lui donne aussi une autre saveur. C’est incontestablement ce que propose cette édition absolument nouvelle de Kafka dans la Pléiade dont c’est peu dire qu’elle était attendue. En attendant Nadeau s’est entretenu avec Jean-Pierre Lefebvre, maître d’œuvre de cette édition, et avec Georges-Arthur Goldschmidt qui a traduit autrefois deux romans de Kafka.
Franz Kafka, Nouvelles et récits. Œuvres complètes, I. Trad. de l’allemand par Isabelle Kalinowski, Jean-Pierre Lefebvre, Bernard Lortholary et Stéphane Pesnel. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1 408 p., 60 €
Franz Kafka, Romans. Œuvres complètes, II. Trad. de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1 088 p., 55 €
On connaît la double trahison sur laquelle repose la réception de Kafka en France : elle a été abondamment racontée et elle ajoute à la première trahison de Max Brod, qui refusa d’exécuter le testament de destruction tout en ordonnant et en présentant l’œuvre à sa manière. On connaît la transformation abusive que font subir au texte les traductions d’Alexandre Vialatte, qui s’appuyaient sur l’édition de Brod. Celui-ci a été tellement vilipendé – on se souvient de la démonstration implacable des tendances déformantes de ses traductions faite par Milan Kundera dans Les Testaments trahis –, qu’il est parfois de bon ton de le défendre comme le grand introducteur, celui qui a fait découvrir Kafka en France. Ce qui est vrai, mais l’histoire qui suit est longue. Vialatte est surtout coupable, via son héritier, d’avoir imposé trop longtemps sa traduction comme la seule et l’unique. Pour la première Pléiade, en 1976, Gallimard a demandé à Claude David de corriger Vialatte. Mais les descendants s’y sont opposé : on ne corrige pas un traducteur quand il est écrivain ! Ainsi les corrections ou les transformations de Claude David se trouvaient-elles reléguées dans les notes, ce qui alourdissait considérablement l’édition et rendait malcommode la lecture. Elles pouvaient être utiles aux chercheurs, mais guère pour les lecteurs désireux de découvrir ou de relire le texte.
Lorsque l’œuvre de Kafka est tombée dans le domaine public, bien d’autres traducteurs s’y sont attelés : Bernard Lortholary, Georges-Arthur Goldschmidt, Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent… vaste confrérie que Jean-Pierre Lefebvre salue amicalement à la fin de son introduction, à laquelle il faut ajouter les noms de ceux qui l’ont accompagné dans son entreprise de retraduction : Isabelle Kalinowski, Stéphane Pesnel et Bernard Lortholary encore. Tout, absolument tout est retraduit (et Jean-Pierre Lefebvre a accompli plus des trois quarts du travail), et présenté différemment, avec pour socle et appui l’édition dite « Fischer », car publiée dans la maison d’édition du même nom, et éditée par Born Neuman, Malcolm Pasley et Jost Schillemeit, qui a commencé à paraître en 1982. La ponctuation particulière de Kafka, très parcimonieuse, a été par exemple reprise ; Amerika a retrouvé son titre, Le Disparu, certains passages du Procès ont été rétablis…
La répartition en deux volumes adopte une disposition plus fidèle à l’histoire de la découverte de l’œuvre de Kafka. Elle propose, en premier lieu, l’intégralité des textes publiés par lui, restaurés dans la forme ou le support (recueil, petit livre ou publication dans la presse) qu’il a voulus pour eux. Puis viennent ses récits et fragments narratifs posthumes : ceux que l’on trouve dans ses Journaux, qui servaient aussi de laboratoire littéraire, et ceux des liasses ou des cahiers dans lesquels il composait la plupart de ses récits. Le deuxième tome rassemble les trois romans et leurs variantes. L’ensemble est allégé, la police de caractère grossie et tout est plus lisible.
Votre édition repose sur l’édition critique de référence, établie entre 1982 et 2013 en Allemagne, très différente de l’édition Max Brod qui a fait référence jusqu’en 1982. En quoi l’œuvre se révèle-t-elle différente d’une édition à l’autre ?
Jean-Pierre Lefebvre. J’aimerais d’abord relativiser les critiques faites à Max Brod. Il a exploité les fonds manuscrits avec bonne foi, dans une période où la déontologie éditoriale était moins maniaque qu’aujourd’hui et tolérait les interventions des éditeurs. Le projet qu’il avait de faire de Kafka le grand écrivain qu’il pensait qu’il était pour son siècle était au fond d’une grande humanité. L’édition de Francfort (dite Fischer) repose sur une transcription très fidèle des manuscrits. Mais je me suis appuyé aussi sur l’édition Stroemfeld et Roter Stern des Œuvres complètes de Franz Kafka qui reproduit les manuscrits photographiés.
Les différences entre l’édition de Brod et les autres sont visibles : cela tient à la ponctuation, mais aussi à l’évacuation hors du Journal de tout ce qui signalait un Kafka libidineux. Peut-être Brod l’avait-il fait pour des raisons que nous ne connaissons pas, la sexualité de Kafka restant pour nous assez obscure. Brod, qui s’adressait d’abord à des germanophones allemands, avait « dépraguisé » certains passages. Un seul exemple, au début du Château : « Es war spät Abend » (« il était tard dans la soirée »), là où l’allemand dirait « Es war spät Abends », Brod avait « corrigé », tout comme il avait rétabli certains toponymes dans Amerika (Oklahoma, là où Kafka répétait Oklahama). Mais, selon moi, un grand livre ne souffre pas vraiment de ce genre d’interventions.
Votre édition diffère de la précédente de deux manières : par des partis pris éditoriaux et des partis pris traductifs.
J.-P. L. Les différences éditoriales tiennent d’abord à ce que chaque texte est accompagné d’un grand nombre de variantes, que j’ai traduites aussi, ce qui a alourdi le travail. Surtout, je ne retiens pas le parti pris de Claude David qui, dans la précédente Pléiade, avait tenté de reconstituer un ordre chronologique des textes très difficile à établir, ce qui rendait la circulation dans le volume des nouvelles et fragments très compliquée. En revanche, nous avons conservé sa décision de sortir quelques textes narratifs du Journal, car Kafka se servait de ses cahiers pour des usages différents, selon qu’il était chez lui ou en voyage par exemple. J’ai ajouté aussi quelques récits de rêve parce qu’ils éclairent la dette onirique de la narration chez Kafka.
Parlons un peu de la traduction du Procès. Il avait déjà été retraduit, par Georges-Arthur Goldschmidt notamment, en 1982 aux éditions Bernard de Fallois (cette traduction est toujours disponible chez Pocket). Comment avez-vous l’un et l’autre envisagé une nouvelle traduction ?
Georges-Arthur Goldschmidt. J’ai vécu comme une grande chance le moment où Bernard de Fallois m’a dit : « Kafka est libre, allez-y ». Je me suis appuyé pour ma part sur l’édition de Max Brod, comme Alexandre Vialatte. Mais j’ai cherché à être beaucoup plus collé au texte allemand, ce qui fait que ma traduction n’est pas très différente de celle que propose Jean-Pierre Lefebvre. Seul le classement des chapitres n’est pas tout à fait le même.
J.-P. L. En effet, Kafka avait laissé les chapitres dans des enveloppes sans les classer, ce qui permet de dire qu’il considérait le roman comme inachevé. D’un strict point de vue narratif, il était achevé puisque Kafka en avait écrit la fin juste après le début. Mais, du point de vue de la fabrique du récit, il hésitait encore. On peut se demander, par exemple, ce que la mention d’une familiarité de K. avec le procureur pourrait produire dans l’économie du récit. S’agissait-il de relier les deux mondes, celui du tribunal et le monde extérieur ou de les maintenir séparés ?
G.-A. G. Pour moi, ces deux mondes sont totalement séparés.
J.-P. L. Pas tout à fait, comme le montre la mise en scène, d’un point de vue comique, d’un personnage antipathique, Bloch, qui annonce la révélation que le personnage a de lui-même au dernier chapitre du roman : « Je n’aurais pas dû vivre comme ça. » Il a l’intuition d’une autre existence au moment de mourir. Il fait preuve d’une lucidité extrême. Cette révélation fait bien système avec le premier chapitre, dans lequel on a compris comment il vivait. Il sent à la fin qu’il aurait dû faire preuve d’une plus grande solidarité. Là, dans l’exigence qu’il a de l’importance d’une vie en commun, d’une vie solidaire, Kafka est très politique, ce qu’a bien montré Pascale Casanova dans Kafka en colère.
Une autre différence entre nos deux traductions repose sur des détails : mon allemand est un allemand du Sud, le tien est un allemand du Nord, ce qui explique par exemple que tu traduises « der Prügel » par « le fouetteur », alors que je choisis « le châtieur ».
G.-A. G. Oui, c’est un chapitre d’une magnifique obscénité ! Le vocabulaire juridique aussi diffère. Je trouve ta traduction plus « juridique », si j’ose dire.
J.-P. L. On a affaire à une histoire praguoise et il fallait être conscient des règles juridiques de ce pays. Kafka connaissait très bien la loi. Il a passé sa vie professionnelle à régler des questions de droit des gens. Il y a un côté parodique dans son livre, mais il y fait la preuve aussi de sa très grande connaissance du droit. J’ai eu beaucoup de mal avec le long passage où l’avocat pérore. Contrairement au peintre Titorelli, dont Kafka évacue le discours assez vite, il déploie là toutes les arguties possibles du discours juridique. Tout cela pour que le personnage oppose à l’avocat l’affront suprême : je vous retire mon affaire. Joseph K. a des bouffées de résistance quand il est confronté à une injustice.
G.-A. G. Pourtant, il n’y a pas d’issue. C’est d’ailleurs pour cette raison, parce que je savais que pour le personnage il n’y avait pas d’issue, que je ne me suis pas ennuyé en traduisant ce passage.
J.-P. L. Il y a pourtant une forme de salut éthique et politique, même si ce dernier geste de résistance est tragique. Dans ce sens, Le Procès a bien une fin, alors que la fin du Château reste conjecturale, même si Brod a dit que Kafka lui avait parlé d’une fin.
Puisque nous parlons de la justice praguoise, je voudrais revenir sur un point que vous évoquez dans votre longue et belle introduction au premier volume de la Pléiade : il fallait selon vous « désoccidentaliser Kafka ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
J.-P. L. Il ne s’agissait pas de restaurer les « praguismes », mais de restaurer un fond d’oralité dans le discours de Kafka, et ce de diverses manières : le lexique, le syntagme ; j’ai par exemple presque systématiquement préféré « c’est ça » à « c’est cela ». J’ai lu de la littérature critique sur l’allemand de Kafka. Les « tchéquismes » apparaissent surtout dans le Journal ; ils sont moins visibles dans les textes plus littéraires, car Kafka les traquait en réécrivant. Ainsi, on peut dire que la langue allemande de Kafka est marquée par deux pulsions contradictoires : d’abord, une pulsion de bon élève de la langue allemande, dans un environnement multilingue où la langue majoritaire du pays est le tchèque. Il avait peur d’être victime d’interférences linguistiques, de faire des « praguismes », des « yiddishismes »… La deuxième pulsion, qui vient contredire la première, est celle du souffle poétique de l’improvisation, celle du discours qui se porte lui-même toujours plus loin. Il y a derrière cela l’expérience des récits qu’il faisait à ses sœurs et dont nous avons des témoignages, le goût pour le théâtre, l’animation d’une parole moins sous contraintes.
Je me suis fabriqué au fil des traductions un idiome qui est certes contrôlé par le texte allemand, mais pour lequel, par exemple, la Suisse, son lexique juridique notamment, a été d’une grande ressource. J’ai veillé aussi à tout traduire, tous les marqueurs de la subjectivité : « ja », « doch », « nun », que j’ai installés dans le discours et qui contribuent à l’oralisation du texte. Tout comme les variations de niveau de langue entre les personnages, le fait que dans Le Château Pepi ne parle pas comme Frieda, par exemple. Cela fait partie de la dimension comique du texte : Kafka savait très bien imiter les langages des autres.
G.-A. G. Pour accentuer cette oralité, je suis allé à la ligne très régulièrement, en particulier dans les dialogues, ce que tu ne fais pas.
J.-P. L. Je n’ai pas voulu le faire car le manuscrit est comme ça. Et cette masse typographique correspond selon moi à une conduite du récit frappée d’oralité.
Plus orale, votre traduction est aussi beaucoup plus sensorielle. Vous respectez la tendance de Kafka à la juxtaposition, à la parataxe. Prenons le début de « Chacals et arabes ». Vialatte rétablissait un ordre du discours, une causalité des événements, alors que vous conservez la phrase nominale, ce qui accentue l’étrangeté du texte.
« Je me jetais dans l’herbe sur le dos ; je voulais dormir ; je n’y arrivais pas ; la plainte hurlée par un chacal au loin ; je me rassis. Et ce qui avait été si lointain fut soudain tout proche. Ça grouillait de chacals autour de moi ; leurs yeux d’or mat, luisant soudain, s’éteignant ; corps sveltes, comme mus au fouet, obéissants et lestes. » (trad. Lefebvre)
« Je me jetai dans l’herbe sur le dos ; je voulais dormir ; je ne pus ; un chacal hurlait au loin ; je me rassis. Et ce qui avait été si loin fut soudain près. Autour de moi un grouillement de chacals, des yeux d’or mat qui s’allumaient ou s’éteignaient, des corps sveltes qui s’agitaient agilement et en cadence comme sous le fouet. » (trad. Vialatte)
J.-P. L. Oui, tout en conservant toujours le fil de sa narration, la phrase de Kafka fait surgir brutalement en elle l’événement. Les phrases nominales sont nombreuses ; il laisse son texte se charger d’éléments concrets, de sensations qui se juxtaposent plutôt que de s’enchaîner. Cette tendance à la parataxe vient compenser l’absence de ponctuation. J’ai fait certains choix lexicologiques qui rompent avec la tradition, mais on ne peut pas en faire trop car les titres sont entrés dans la culture. Certains textes avaient perdu leur lisibilité parce que les traducteurs avaient omis de petits détails. J’ai voulu ne rien perdre, même quand il y avait répétition. J’ai toujours gardé à l’esprit que j’étais en face d’un texte qui m’impressionnait, qui me dominait et qui me disait ce que je devais faire.
C’est aussi la leçon des manuscrits. Kafka réécrivait beaucoup, et il supprimait. Les deux jouent un rôle important. C’est net par exemple dans la suppression la plus connue, celle du Disparu, lorsqu’il passe de la première personne du singulier à la troisième, créant ainsi un narrateur flou, intime aussi bien avec le personnage qu’avec ses lecteurs. On trouve le même type d’hésitation au commencement du Château.
G.-A. G. D’où viennent les titres des chapitres que tu as ajoutés au Château ?
J.-P. L. Les chapitres étaient comme toujours dans des enveloppes qui comportaient des titres. Brod était persuadé que ces titres étaient des descriptions du contenu des enveloppes et non des titres de chapitres. Les éditeurs allemands ont maintenant décidé qu’on pouvait mettre ces noms en position de titre.
Qu’avez vous préféré traduire ?
J.-P. L. Sans hésiter, « Le terrier » (« Der Bau »). Pour la proximité de ce texte avec le discours paranoïaque, pour la dialectique du contrôle et de la liberté. Quoi de plus oral qu’un discours halluciné de délirant ? C’est pourquoi ma lecture diffère de celle de Vialatte qui écrit : « j’ai aménagé mon terrier ». C’est « le » terrier, et non « mon terrier », que j’ai écrit car le déictique marque bien la contradiction d’un discours qui est aussi une extraordinaire métaphore de l’enfermement dans un psychisme. Je pense que ce texte devrait être joué par un comédien, et je l’ai traduit avec cette idée en tête.
Sort-on transformé d’une expérience de trois ans et demi dans la tête et la langue de Kafka ?
J.-P. L. L’expérience a été éprouvante, et pas seulement pour moi mais aussi pour les gens qui vivent avec moi. Mon dialogue familier incluait Kafka. Je ne fais pas partie de ces gens qui ont lu tout Kafka à vingt ans. Je l’ai donc aussi en partie découvert à cette occasion, et je l’ai lu avec Celan, que je n’ai cessé de traduire, avec Freud aussi, avec qui j’ai passé dix ans. La traduction de Kafka m’a permis de redonner rétrospectivement de nouvelles possibilités à mon travail sur Freud, car tous les textes de Freud que j’ai traduits ont trouvé des échos fabuleux chez Kafka. J’ai donc vu et compris Kafka depuis mon âge, depuis mon expérience. Et j’ai travaillé avec l’adolescent qui est resté en moi, avec l’adulte que je ne suis plus, avec celui que je suis encore.
G.-A. G. Pour moi, c’est très différent. J’ai fait la découverte de Kafka en 1950 dans l’extrême nord de l’Allemagne. Ma difficulté d’être (je suis un survivant abusif) m’a fait immédiatement penser : « Kafka c’est moi ». J’ai reçu un coup comme je n’en ai jamais reçu depuis. Cette culpabilité originelle dans laquelle j’ai passé ma vie, je l’ai reconnue chez Kafka, tout comme l’expérience de la rafle, qu’il parvient à dire en trois lignes, l’arrestation arbitraire. La traduction est donc pour moi comme une restitution de ce que j’ai reçu. Pendant tout le temps où je le traduisais, j’étais aspiré par lui, par l’énergie du manque et de l’absence d’espoir qui anime son écriture et sa langue. C’est parce qu’il n’y a pas d’espoir qu’il y a autant d’énergie.
J.-P. L. J’étais travaillé par une question que je me pose aussi avec Celan : la magie de cette œuvre, l’extraordinaire puissance qu’elle a eue pour dire notre époque et le XXe siècle, vont-elles continuer d’opérer ? J’ai traqué en elle ce qui à mon sens répondait encore pour des siècles à l’expérience humaine. Je l’ai trouvé dans l’articulation du psychique et du politique, dans une pensée de la mort qui est aussi une réflexion sur la durée de la vie.
Pour quelqu’un comme moi qui suis en fin de parcours, et dans la société dans laquelle je vis, j’ai eu affaire avec Kafka à quelqu’un qui offre toute une série de pistes. Il intervient politiquement contre toutes les formes d’oppression. Il le fait avec deux qualités majeures : l’attention et la vigilance. Ainsi les détails ne sont jamais anodins mais ils sont toujours une marque d’attention. Kafka éduque ainsi à un type d’attention qui sera utile pour comprendre le monde de demain, y compris à des choses qui se passent dans notre dos, qui se passent toutes seules et qui créent la matrice de l’aliénation à venir.
En lisant Kafka, on se dit aussi qu’on a eu raison de se battre, qu’on a eu raison de s’engager dans des luttes, que tout cela n’était pas vain.
Il fait partie des auteurs qui sont là pour que la mémoire dure plus longtemps. Son poids sur moi est donc important, et il est spécifique. J’ai traduit beaucoup d’écrivains, mais la charge qu’ils ont laissée n’a pas toujours été aussi forte.
Propos recueillis par Tiphaine Samoyault