Ossip Zadkine est sculpteur, peintre, graveur français. Il étudie à Londres et à Paris de 1906 à 1910 où il s’intéresse d’abord à Rodin et aux sculptures africaines. Pendant la Grande Guerre, il est engagé volontaire et il est grièvement gazé… Ses constructions de formes sont précises ; elles émeuvent. Ses agencements sont méthodiques, tragiques, héroïques, et font une grande part à l’irrationnel.
Ossip Zadkine : L’instinct de la matière. Musée Zadkine. 100 bis, rue d’Assas, 75006 Paris. 28 septembre 2018-10 février 2019
Catalogue officiel. Sous la direction de Noëlle Chabert. Éditions Paris Musées/Musée Zadkine, 144 p., 29,90 €
Rue d’Assas, Ossip Zadkine (Vitebsk 1890-Paris 1967) vécut et travailla dans la maison et les ateliers qui l’abritèrent de 1928 à 1967. Ce lieu a été inauguré en 1982 et rénové en 2012. Grâce au legs consenti par la veuve du sculpteur, ce musée serait un site de création de poésie, de mémoire.
Zadkine écrit : « Du dialogue avec la matière naît le geste de l’homme. »
Zadkine écrit : « C’est l’été et mon jardinet ruisselle d’ombres et de striages de soleil qui coupent arbres, fleurs et sable avec un tranchant couteau de lumière. Ici, dans cette cellule encore paisible, je suis un fauve, une bestiole mystérieuse qui sait cacher l’angoisse, son humaine instantanéité. Récompense d’un Dieu bon pour la petite bête. Merci ! »
En 1920-1921, il sculpte Le fauve ou Le tigre en bois doré : « Un jour, un ami m’a fait cadeau de blocs de bois tordu. J’ai immédiatement imaginé un fauve, un vrai, un grand jouet. J’ai taillé, avec un enchantement réel, les deux pattes de devant qui lui manquaient. Je me sentais à nouveau charpentier. » Vers dix-sept ans, en Angleterre, chez un oncle qui est ébéniste, il taille les bois ; à Londres, il est apprenti rémunéré chez un artisan de meubles ; et les dimanches, au British Museum, il découvre « un monde muet de formes hétéroclites extraordinairement étranges et enivrantes ». Sans cesse, il est simultanément un artisan et un artiste. Pour créer son fauve, l’enchantement de la taille du bois sous la peau d’un or raffiné révèle la violence, l’éclat de la férocité.
En un épisode de son enfance, Zadkine perçoit une « forêt psychique ou intime » de la Russie, les sapins frais couverts d’un goudron brillant au soleil. Et son pied glisse ; il touche alors « une terre glaise d’une blancheur merveilleuse » ; puis, « avec un bloc d’argile », il modèle un casseur de pierres.
Artisan et artiste, il travaille les bois différents, la pierre, l’argile, le plâtre, le bronze. Parallèlement, il dessine les traits et la gouache… On peut noter l’aspect des bois variés : le bois de chêne (La Sainte Famille, 1912-1913), le bois de poirier (Vénus cariatide, 1919), le bois d’orme (Les vendanges, 1918), le bois d’acacia (Torse d’éphèbe, 1922), le bois de noyer (Porteuse d’eau, 1923), le bois d’ébène du Brésil (Tête de femme, 1930), le bois de cormier peint (Rebecca, 1927), le bois de hêtre rouge polychromé (Odalisque ou Bayadère, 1932). Ou bien il choisit le granit, le marbre, la pierre calcaire, la granulite. Parfois il utilise le plâtre peint… La polychromie, les feuilles d’or, la laque, le bronze poli ou patiné modifient l’apparence des corps ; il transforme l’épiderme de ces sculptures.
Dans le catalogue de l’exposition, Jérôme Godeau met en évidence : « l’or et la peau, la coloration, les incisions, une inquiétante étrangeté ». Zadkine se souvient parfois « d’une Bodhisatta chinoise du VIIe siècle ou VIIIe siècle » dont « la tête, imperceptiblement, penchée, exprimait une sorte de pensée mystérieuse ». Le masque en buis (1924) a des orbites « vêtues de nuit ». Il n’oublie jamais le « plancher peint en rouge sombre » d’une grande chambre de la maison familiale de Smolensk…
Antonia Soulez, philosophe de la musique et du langage, poète, étudie « le motif musical incrusté au cœur du matériau de Zadkine ». Il s’agirait d’un « Orphée sculpteur ». Ici, « la musique fait résonner la matière ». Tu contemples la Musicienne (1919), L’homme violoncelliste (1939)… Les sculptures et les gouaches montrent les cordes, la lyre, le luth, l’accordéon… Chez Zadkine, l’alternance du concave et du convexe drape un corps.
Véronique Koehler, historienne de l’art, responsable des collections du musée Zadkine, étudie Le maillet et le ciseau. Souvenirs de ma vie (Albin Michel, 1968). Alors Zadkine affirme : « J’ai toujours vécu à la campagne, près des forêts, près des champs, près des rivières. Cette intimité ne m’a jamais quitté. Sans doute est-ce pour cela que mes sculptures ont une saveur rustique, le parfum de la terre, de la pierre et des arbres de la forêt. »
Les convictions de la Russie slave et païenne le bouleversent encore. Zadkine se souvient de certains rites des paysans russes de son enfance. Ces paysans ont vénéré les esprit des marais, le gardien de la forêt. Au printemps, ils déposent sur la souche des arbres un œuf de couleur rouge ou une tranche de pain saupoudrée de sel.
Dans la création de Zadkine, se tissent le primitif et le subtil, les mythes, les croyances des villageois, celles des nomades des steppes, les musiques, une foi orthodoxe héritée de Byzance, l’or, les recherches des cubistes, le goût de toucher, le décoratif, les souffrances d’une ville détruite (Rotterdam), les constructions et les dislocations, le lisse et le hérissé, le spirituel et la sensualité, le sauvage et le civilisé. Se rencontrent le discernement et le désir.