« La claveciniste est informée, intelligente, elle a sûrement raison », écrivait Roland Barthes dans son journal, en 1979, au sujet de Blandine Verlet, décédée dimanche 30 décembre 2018.
François Couperin, qui aurait eu 350 ans le 10 novembre, vient de perdre une de ses plus grandes interprètes et sans doute la plus fidèle. Toute sa carrière durant, Blandine Verlet a côtoyé les œuvres du maître du clavecin français. Et il faut sans doute toute une carrière pour percer les mystères des barricades qu’a élevées Couperin autour de ses pièces pour clavecin. Qui sont Les Chinois qui donnent leur nom à une pièce du vingt-septième ordre ? Et d’où viennent Les Pavots qui les précèdent ? Blandine Verlet s’amuse de tant de mystères dans une belle vidéo de présentation consultable en ligne de son disque de 2012. Mais cet amusement n’est permis qu’à celle qui parle de son « ami de toute une vie », ainsi qu’elle désigne Couperin. C’est cette amitié, par-delà les siècles, qui l’autorise à interpréter de façon si personnelle les quatre livres de pièces pour clavecin. Dans Les Barricades mystérieuses, par exemple, elle use d’un rubato d’une ampleur qu’on entend rarement au clavecin mais plus habituellement dans des pièces romantiques pour piano.
Blandine Verlet est née en 1942. Elle a suivi les enseignements d’Huguette Dreyfus, de Ruggero Gerlin et de Ralph Kirkpatrick. Ces deux derniers étaient des élèves de Wanda Landowska grâce à qui le clavecin est réapparu au début du XXe siècle. Blandine Verlet est ainsi une représentante de la troisième génération des clavecinistes modernes. Elle-même a été une pédagogue recherchée et a contribué à promouvoir son instrument en enseignant dans de nombreux conservatoires. Une nouvelle génération de clavecinistes talentueux peut se revendiquer de l’école Verlet du clavecin, à l’instar de Jean Rondeau et de Jean-Luc Ho dont les concerts sont salués et les enregistrements primés.
Si François Couperin est le refrain de la carrière, en forme de rondeau, de Blandine Verlet, bien d’autres compositeurs ont également trouvé en elle une interprète tout aussi attentionnée : Frescobaldi, Froberger, Scarlatti, Rameau, Jacquet de la Guerre, Couperin (Louis, l’oncle de François), Balbastre… et, bien sûr, Jean-Sébastien Bach ! Ses enregistrements des œuvres pour clavecin du cantor de Leipzig allient virtuosité et simplicité : Blandine Verlet ne cherche jamais à écraser son auditeur, ce qui serait si facile avec Bach. La musique, elle la partage. En 2002, elle publie L’Offrande musicale, un titre qu’elle emprunte à Bach et qui en dit long sur sa générosité d’interprète. Son offrande à elle, ce sont des pensées qu’elle assemble et qu’elle livre à ses lecteurs. De même que, dans son ultime disque, paru en 2018 et consacré à Couperin, elle offre à ses auditeurs La Compositrice, un récit poétique où on devine beaucoup d’elle.
Il y a quelques semaines, une amie claveciniste m’a d’autorité placé dans les mains le coffret du second livre de François Couperin, enregistré par Davitt Moroney, en ajoutant : « ainsi, tu écouteras un autre Couperin que celui de Blandine Verlet ». François Couperin a perdu une amie fidèle ; des admirateurs, tout aussi fidèles, ont perdu Blandine Verlet. Mais grâce aux écrits de l’un et aux disques de l’autre, on n’a pas fini de les entendre !