Le sport est un sujet mystérieux, fascinant et vide, dans lequel chacun peut ajouter ses expériences et ses sentiments pour remplir l’espace laissé par le silence des individus qui le pratiquent. Jean Palliano s’éloigne de la galerie de portraits que chaque discipline propose, au delà des champions, pour aller vers les talents brisés, ces sportifs sensibles et timides, dont la technique supérieure n’a pas trouvé la manière de s’exprimer, laissant au spectateur ce terrible goût d’insatisfaction, mais un souvenir impérissable.
Jean Palliano, Le revers de Richard Gasquet. Anamosa, 180 p., 18€
Deuxième livre de Jean Palliano, Le revers de Richard Gasquet retrace la carrière en dents de scie d’un des plus beaux joueurs de tennis français des années 2000-2010. Racontant de manière quasi chronologique les heurts d’une vie d’enfant star (en Une de Tennis Magazine à 9 ans) malmené par des médias vautours qui lui arrachent des bouts d’âme à chaque article, et par un public impatient qui demande à être diverti sans jamais réfléchir à l’effort, ce récit nous expose le sport professionnel à hauteur d’homme.
L’ouvrage joue sur un parallèle attendu, sympathique : celui de la vie de l’auteur par rapport à son sujet. Jean Palliano esquisse une existence bourgeoise parisienne, dont l’intérêt pour le tennis croise les atermoiements existentiels de l’un des plus prometteurs talents de ce « sport d’élite » . Ainsi, c’est en sortant d’une de ses nombreuses soirées boulonnaises que l’écrivain longe Auteuil, le temple du tennis français, et croise Richard Gasquet pour la première fois ; c’est en allant à une rétrospective Fransesco Rosi qu’il loupe un de ses plus grands matchs ; c’est en préparant le concours, déjà manqué une fois, de la fonction publique qu’il confronte ses difficultés avec celle du joueur professionnel. La démarche se comprend, tant chaque passionné de sport se compare allégrement à ses champions favoris aux instants majeurs de son destin personnel, et tente de puiser dans leur exemple la force nécessaire au maintien de son propre courage.
Très pertinent quand il aborde la vie du « petit Mozart du tennis », quand il le compare avec les (vrais) champions de son temps, Federer ou Nadal (Gasquet avait battu ce dernier, son aîné de quinze jours, à douze ans), Jean Palliano paye néanmoins la difficulté inévitable d’un livre sur le sport, prisonnier des comptes rendus de matchs souvent rébarbatifs, et des anglicismes abrutissants du vocabulaire tennistique. Les histoires de tournois semi-pro, les chambres d’hôtels que l’on règle avec les gains du tournoi qu’on s’apprête à jouer, sont le sel de ce genre d’histoires ; on aurait aimé les voir davantage développer. Palliano aborde le sujet par le geste, plutôt que par la rencontre. En observant le « stressé et transpirant » Gasquet à travers un écran d’ordinateur, il ne lève pas le voile de mystère qui entoure la trajectoire du joueur.
Ce qui déçoit, c’est que l’agilité avec laquelle l’auteur effleure son sujet contraste avec sa manière de se laisser aller à des comparaisons littéraires ou philosophiques qui paraissent un peu forcées dans le contexte. Palliano compare, à la suite de David Foster Wallace, certains coups de tennis à une « extase religieuse » (légèreté toute moderne dans l’utilisation des termes sacerdotaux) : l’envie irrépressible de recourir à l’hyperbole et aux comparaisons spirituelles nous place paradoxalement en-dehors du roman tragique qu’est la vie de Richard Gasquet : une histoire de talent brisé et de promesses non tenues, d’ambition légère et de rêve trop grand, qui se termine par des blessures et des regrets.
Texte plaisant et agréablement écrit, Le revers de Richard Gasquet laisse au lecteur une drôle d’impression, assez analogue à celle que procure le joueur de tennis décrit. Finalement, la comparaison entre les deux individus ne semble pas exagérée ; ou, peut-être inconsciemment, Jean Palliano s’est-il plus mis dans la peau de son sujet qu’il ne l’imaginait en écrivant. Reste en main un joli livre un peu vide, comme le revers de Richard Gasquet.