Tout près des oiseaux

Nous sommes à la lisière regroupe neuf nouvelles de Caroline Lamarche.


Caroline Lamarche, Nous sommes à la lisière. Gallimard, 176 p., 16 €


Où être complices de quelques vies sauvages, en bordure, pour donner du sens ?  Comment parvenir à étendre « le cercle de sa compassion à toutes les créatures vivantes », pour donner à voir le fracas des ailes noué à l’aimable pépiement des autres volatiles, avant que les oiseaux ne se raréfient, tels « les plus fins, les plus chanteurs, fauvettes à tête noire, tarins des aulnes, pouillots fitis, linottes mélodieuses » ; ou quelqu’un, à l’instar de cette femme plus avertie qu’il n’y paraît,  pareille à un hérisson « qui se hâte avec ardeur vers un but (mais lequel ?) et que la vie, sans cesse, contrarie ou place dans des situations potentiellement périlleuses » ?

Les neuf nouvelles de l’auteure belge Caroline Lamarche situent le lecteur à l’orée de deux univers mêlés, là où se croisent humains et animaux, si discrètement semblables dans leurs fragilités, voire leurs attentes de protections réciproques. Chacun est à la recherche de l’autre, comme si la quête passait secrètement, en sous-main, d’un univers silencieux à l’autre, d’une correspondance inédite à l’autre, d’une expérience à l’autre.

Caroline Lamarche, Nous sommes à la lisière

Caroline Lamarche © Jean-Luc Bertini

Ainsi, que dit la présence dans un somptueux paysage d’un écureuil, « veillant sur six enfants enterrés à l’âge tendre », tout occupé à refaire les mêmes trajets dans un cimetière américain, où la narratrice, en deuil d’un enfant, Rudi, subitement mort, ne croit plus en l’avenir, « mais bien en l’imagination, d’où naissent les plus folles histoires ». Telle une furtive flamme rousse, un écureuil facétieux, revenu sur cette tombe pour dialoguer avec elle, l’écouter, lui répondre – grisés l’un de l’autre – car « ils parlaient le même langage ».

Ce sont des histoires simples ou complexes qui n’inventent ni d’autres mondes ni d’autres amours, mais achèvent de nous inscrire dans une connivence avec ce qui, par-delà les mots, nous relie tacitement : quelque chose qui renvoie à une meurtrissure intime, à la solitude peut-être, à l’archaïque besoin de se sentir reconnu.

Que s’est-il passé entre Louis, « le bénévole assidu » d’un refuge pour oiseaux, et Frou-Frou, qu’il a recueillie, cette cane à l’aile gauche pendante, dont « le moment est venu du choix entre les humains et [sa] vraie vie, la vie pour laquelle [elle est] née », attachante créature avec « son miroir de cane adulte, ce carré de plumes bleu-noir qui tranche sur le brun clair alentour, oui on appelle ça le miroir, et ça lui allait bien », elle qui s’apprête enfin « à devenir quelqu’un qui sait ce qu’il veut » ?

À chaque récit sa morale singulière, comme pour souligner l’interdépendance des espèces, leur commune humanité, leur même finalité. L’écriture limpide, concentrée, techniquement aboutie, de Caroline Lamarche rend compte avec force de la vulnérabilité immédiate des uns et des autres, et d’un parti pris assumé. Elle dévoile sobrement, avec subtilité, des paraboles sensibles bien plus profondes qu’on ne l’imagine, que la forme brève magnifie et amplifie.

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