Les Langagières, dernières ?

Les Langagières du TNP Villeurbanne se sont déployés encore cette année durant une petite quinzaine de jours, place Lazare Goujon, où se côtoient, près des rosiers grimpants, les écoliers, les retraités et les goûteurs de mots.


Langagières. Du 14 au 25 mai. TNP Villeurbanne.


On se rend là en amateurs, de la langue, du spectacle, qu’on soit simple auditeur, poètes, slameurs, chanteurs, comédiens, dramaturges, puisque le lieu est un théâtre et non des moindres. National, il en a l’envergure. Populaire, il en a l’ambition. Quant à ceux qui l’animent, ils sont exceptionnels : du personnel administratif aux techniciens de plateau en passant par les comédiens attachés au théâtre, chacun est compétent, enthousiaste, connaisseur.

Je pars trop tôt pour mesurer la place que le public occupera dans les gradins des salles, des halls et de la brasserie qui accueille, elle aussi en soirée, des artistes. Jean-Pierre Siméon est aux commandes, Christian Schiaretti reçoit. Comme les années précédentes, la diversité est de rigueur, la ligne directrice de la programmation étant la langue dans ses états et ses éclats multiples. Pari accompli ? Au public de le dire. Le critique, le journaliste ou l’artiste invité ne peut pas tout entendre et tout voir, même s’il en a l’envie. « Les langagières, dit Christian Schiaretti auprès de qui j’exprime le regret de manquer des soirées, reposent sur la frustration. » Le programme est chargé, les rencontres, les lectures, les concerts se bousculent, se chevauchent. On est ici tout en se demandant si on n’aurait pas dû se retrouver ailleurs.

Par exemple, le jeudi 16 mai, si on veut écouter le poète Abdellatif Laâbi qui a sa « Carte blanche » à 20h30, on ne peut que manquer la représentation de Tudor toute seule, de Clémence Longy. En revanche, on peut aller sans crainte au cabaret d’Ariane Dubillard, la fille du poète dramaturge, dans Ma chanson de Roland : l’horaire de 22h n’est occupé que par elle seule.

Le mardi 21 mai, si on veut découvrir les vers de la poétesse américaine Marilyn Hacker, on sera privé du poème dramatique de Jean-Pierre Siméon, Antigone. Avec Olivier Barbarant, qui dirigea dans la Pléiade les volumes d’Aragon, on est chanceux. Sa « Carte blanche » du 22 mai à 20h30, dans le délicieux petit amphithéâtre Jean Vilar, est sans rival. Mais si on était déjà là la semaine précédente et qu’on venait de Paris, il n’est pas évident de refaire le voyage.

Langagières. Du 14 au 25 mai. TNP Villeurbanne.

Il reste donc à bien choisir dans le programme, quand on s’intéresse en particulier aux poètes contemporains, entre Edith Azam, Loïc Demey, Patrick Laupin, Frédéric Boyer, Zéno Bianu, Tahar Bekri, Charles Juliet, Linda Maria Baros et moi-même. Et à se consoler en se disant que de telles rencontres sont toujours possibles. Mais pour combien de temps ? Le TNP change de direction en 2020. Christian Schiaretti parti, et probablement avec lui son équipe, que deviendront les Langagières ? [1]

Certains se désoleront que la poésie telle qu’ils l’entendent, celle qui privilégie le livre et qui est habitée par le désir du beau et la recherche formelle, côtoie le slam et le cabaret. Pourtant, le « Cercle des poètes de la rue », d’une qualité indéniable, et « Tango secret », de Luis Rigou et Céline Bishop, une vraie merveille, avaient leur place après la « Carte blanche » poétique de la première soirée.

Se réjouir de ce qui existe encore, avant que la littérature qu’on aime et qu’on défend ne prenne le chemin de l’exil intérieur et de l’anonymat, ne serait pas une mauvaise idée. Mais soyons optimistes : nous n’en sommes pas là, la littérature et la poésie ont de beaux jours devant elles, à condition qu’elles conservent leur exigeante exemplarité.

Deux poètes invités

Marilyn Hacker

« Emblématique, il y a la théière,

qui fume sur un banc de bois


entre deux interlocuteurs, aussi


prêts à se déclarer la guerre


qu’à trouver le compromis qui


sauvera la face. Dehors, strident,


monte le contre-champ animé


d’une ville qui tourne au crépuscule
. »

Extrait du poème « Pour Kateb Yacine », traduction Jean Migrenne. Tresse d’ail, éditions Apic, Alger.

Olivier Barbarant

« Dans mon souvenir c’était plus près

de l’entrée. Il a poussé des morts depuis,

on a refait des rues, des carrefours. J’ai croisé des chats,

des veuves et des bouquets de fleurs

sur les tombes des vedettes.

Je n’ai pas retrouvé la tienne ;

Peut-être que je n’y tenais pas. »

Odes dérisoires et autres poèmes, Poésie Gallimard.


  1. On peut aussi consulter les six émissions que Philippe Lefait a consacrées aux Langagières dans « Des mots de minuit ».

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