J’aurais aussi bien pu choisir L’ours. Histoire d’un roi déchu, du même Michel Pastoureau, dans la même Librairie, magistrale et mélancolique étude du déclin d’un animal perçu comme dangereusement proche de l’Homme. Mais d’obscures raisons m’ont poussé vers une bête moins glorieuse, une bête qui ne relève jamais la tête du sol pour regarder les étoiles. Pourquoi le cochon ? Par goût pour l’Histoire événementielle, d’abord, forgé dès l’enfance par la lecture de L’histoire de France en bande dessinée, celle des batailles et des rois, des Louis et des Philippe couverts de lys dorés.
Le roi tué par un cochon s’intéresse à la création de ces armoiries, inspirées des attributs de la Vierge, vers le milieu du XIIe siècle. Michel Pastoureau fait l’hypothèse qu’elles sont liées à un fait divers : la mort de Philippe, fils de Louis VI le Gros, d’une chute de cheval provoquée par un cochon errant et forcément diabolique. Le titre mystérieux est la deuxième raison : il s’explique par la coutume des premiers Capétiens de couronner leur fils aîné de leur vivant. Philippe, à quinze ans, était bien roi de droit, sinon de fait. « Une mort infâme aux origines des emblèmes de France ? », suggère le sous-titre : les armes virginales auraient été choisies pour racheter la souillure, pour effacer le scandale d’un mangeur d’ordures voué à la boucherie abattant l’homme le plus puissant de son temps.
Le livre de Michel Pastoureau fascine par l’ironie du destin, mais aussi par ce qu’il montre de la science historique : hypothétique, spéculative, conjecturale. Personne ne sait en réalité pourquoi les lys sur fond bleu ont été choisis comme armoiries des rois de France. L’Histoire appelle l’humilité, le dépouillement, la répudiation des idées reçues, l’exercice intellectuel de sortir de soi : « Les textes médiévaux ne doivent pas être lus au premier degré, même lorsqu’il s’agit d’une simple charte ou d’un inventaire rédigé par un notaire », écrit l’auteur.
Le roi tué par un cochon énonce une triple leçon de modestie : un simple « porc gyrovague » peut trancher net le destin le plus brillant ; les animaux et même le cochon méritent l’intérêt des historiens (puisque Michel Pastoureau lui a consacré un livre) ; et beaucoup de ce que nous savons est incertain.
L’Histoire est une histoire dont l’auteur fut ce jour-là un cochon : sans la mort de son frère aîné, Louis VII le Jeune ne serait jamais devenu roi, les armoiries françaises auraient sans doute été différentes, la Deuxième Croisade aurait peut-être été un succès, Aliénor d’Aquitaine pas répudiée, et donc le roi d’Angleterre jamais assez puissant pour qu’éclate la guerre de Cent Ans, etc. En plus de mettre en lumière des aspects méconnus du passé et d’inviter au relativisme, l’Histoire suspend l’instant autant qu’elle l’étudie et fait rêver, le temps de la lecture, à d’autres possibles. Le roi tué par un cochon fait tout cela.