Épouser le déséquilibre

Comme tout bon lecteur de Lewis Carroll le sait, une fois de l’autre côté du miroir, Alice traverse tout un échiquier pour devenir reine. La reine Alice de Lydia Flem relate un autre genre de traversée, celui de la maladie, la vraie, celle qui fait peur, la « reine des maladies » : le cancer.

La référence à Lewis Carroll m’a intriguée, la trame narrative m’a interpellée – qui de nos jours n’a pas dans son entourage au moins une personne confrontée à « une longue maladie » ? J’ai suivi Lydia Flem dans son numéro de funambule, tâchant d’équilibrer légèreté et gravité.

Lydia Flem, La reine Alice. Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle

Lydia Flem

La dure réalité de la maladie (fatigue, perte de cheveux, accès de désespoir) n’est pas occultée ; la narratrice, nouvelle Alice, se pare de foulards colorés enroulés en turban, convoque les étoiles pour tenir à chaque vague de traitement, entourée d’une ribambelle de personnages loufoques, exaspérants ou réconfortants. Ce livre est doublement lié à Lewis Carroll puisque la photographie y occupe une place importante, capturant des instants pour mieux apprivoiser une temporalité qui échappe.

Livre faussement frivole donc, sur tout ce qui permet de se confronter à la douleur et à la mortalité. Trouver images inspirantes et musiques rassérénantes ; si certains sens s’émoussent, comme le goût, savourer un festin verbal et imaginaire. Essayer d’écrire ; si lire est difficile, se remémorer une phrase ou un vers aimé. Se poser des questions philosophiques, mais sans se prendre trop au sérieux. Accepter ses limites, ses échecs, ses impatiences. Ainsi de case en case, malgré les passages très éprouvants comme le Laboratoire des Agitations Vaines, Alice persévère et trouve le chemin de la convalescence.

Fiction et réalité sont indissociables : ce qui s’échafaude dans l’esprit devient béquille du corps malade, tandis que les épreuves physiques et psychiques enrichissent le récit. La voix d’Alice change de personne, soliloque et dialogue, explore toutes les possibilités qu’offre le langage ; parfois les mots ne suffisent pas, parfois ils correspondent à l’expérience, parfois ils aident à la dépasser. Pour affronter une maladie aussi complexe, une « alchimie du verbe » semble ici le complément nécessaire de la chimie thérapeutique. « Alice aimait s’envelopper de mots comme d’une couverture qui la mettait à l’abri de la souffrance. » C’est l’impression que laisse cet ouvrage de Lydia Flem : un patchwork coloré et réconfortant.


Lydia Flem, La reine Alice. Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 320 p., 19,80 €

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