On ne lit pas pas les livres de la « librairie » de Maurice Olender – qu’elle soit du XXe ou du XXIe siècle – exactement comme on en lit d’autres. Car ce n’est pas une collection abritée par une maison d’édition mais une bibliothèque. Avec ses obsessions, ses échos, ses incohérences. On y est dans un creux, dans un revers de la littérature. Une littérature entendue dans le sens très large de ce qui s’écrit et qu’un esprit accueille. Des livres, quoi !
On y lit au revers d’un lecteur. Logé en quelque sorte dans sa caverne intérieure – avec ses goûts, ses amitiés, ses désirs, ses pulsions, ses curiosités… On les partage souvent ; ils nous laissent parfois dubitatifs. On est tout contre. On pourrait égrener un chapelet de titres ou de noms d’écrivains qui ont – ou pas – notre sympathie. On pourrait aussi chercher à comprendre ce qui les rassemble dans cet étrange cabinet de lecture disparate, cette collection – au sens propre – de lectures qui éclairent le monde contemporain et changeant, d’une manière ou d’une autre.
Les fictions ou les essais qui composent son étrange catalogue m’ont toujours interloqué. Je n’y ai rencontré que des livres bizarres, non pas seuls, mais dans l’espèce de galaxie improbable qu’ils constituent. C’est un ensemble qui n’en est pas un, qui relève de l’association, du hasard, d’un désir de lecteur. Quelques exemples – Roubaud, Elias, Rancière, Perec, Damisch, Bénabou, Perrot, Lévi-Strauss, Rivière, Bonnefoy, Celan, Parra, Vallejo, Fleischer, Grumberg, Schneider, Loriga, Vernant, Starobinski, Risset, Borges, Bailly, Tabucchi, Roche… Chaque fois, le lecteur doit se rétablir. Trouver un appui, se resituer, s’interroger lui-même face à ce qu’il lit, se gagner un ordre.
Pour moi – j’ai un esprit bien souvent négatif –, ces lectures relèvent d’un envers. Je m’y suis (presque) toujours senti surpris. Comme s’il me fallait me tourner pour les lire. Alors qu’ils ont l’air, bien souvent, uniques, j’ai toujours lu ces textes dans un ensemble, au revers les uns des autres. Les livres que Maurice Olender publie désaxent le monde, décomposent notre réel, le retournent en quelque sorte. C’est leur prétexte ; c’est là le goût que j’y trouve.
Bien souvent, on se rattache à un exemple. Ici, pour moi, d’évidence, c’est le journal de Luc Dardenne – deux volumes parus en 2005 et 2015 –, intitulé Au dos de nos images. Peut-être l’image du revers vient-elle de là… d’un livre écrit seul mais où luit l’absence (fausse) du frère ; de cette lecture puissante, étonnante, qui donne à voir un laboratoire intellectuel, qui obéit au fourmillement quotidien de la pensée. Mais cette lecture singulière n’obéit pas qu’à un goût pour des films que j’aime, qui me portent en quelque sorte ou me situent. Non, c’est une lecture exemplaire parce qu’on y découvre un paradoxe, un contre-sens (au lecteur de le trouver), qu’on y désamorce la lecture naturelle et habituelle des films des Dardenne, que l’on s’y détache de l’évidence, qu’on y gagne quelque chose.
C’est ça probablement qui me frappe, un mouvement de la lecture inévident, une surprise, un sursaut, un revers.