Ni lu, ni connu !

On ne commente pas un non-livre, ou alors il faudrait le non-commenter. Ainsi commencerait, et se terminerait, ma courte non-critique, si toutefois on me demandait de l’écrire, de Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres de Marcel Bénabou, ouvrage « insolite autant qu’improbable » (quatrième de couverture), paru provisoirement dans la collection Textes du XXe siècle/Hachette, avant d’être définitivement réédité, il faudrait dire : abrité, dans La Librairie du XXIe siècle.

De ce non-livre, jubilatoire, intelligent, bourré de références et d’esprit(s), je garde un souvenir éblouissant… et quelque peu nébuleux. Non pas tant en raison de l’âge auquel je l’ai lu (à sa parution, je crois, en 1986), que parce qu’il contient, en son fond autant qu’en sa forme, les éléments mêmes qui contribuent à la diffraction, voire la dissolution, de tout souvenir à son endroit.

Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres. Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle

Pour l’expliquer autrement, et plus simplement : Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres ne ressemble à aucun autre livre Bénabou, et pour cause ! C’est qu’il n’a de cesse de nous démontrer qu’il n’a pas pu l’écrire… tout en l’écrivant. S’ensuivent moult considérations sur les avantages de la page blanche, les profits de la procrastination, les bénéfices de la frustration et autres gains des textes avortés. Il n’est pas jusqu’au désir de fuite en avant qui ne fasse l’objet d’un éloge en longue, bonne et due forme. Bénabou fait l’autruche comme d’autres font œuvre. Un psychanalyste, freudien, y perdrait son latin…

C’est peu de dire que dans ce non-livre, Bénabou le scribe avance masqué. Il se glisserait presque entre les doigts, si jamais l’expression a un sens. Ne serait-ce d’ailleurs pas son histoire de juif marocain qu’il diffère d’autant ? On tient là, peut-être, enfin, une vraie autofiction : ni lu, ni connu !

On s’étonnera et on ne s’étonnera donc pas que le non-auteur ait remis, un peu, plus tard, l’ouvrage sur le métier : Jacob, Ménahem et Mimoun. Une épopée familiale. Las ! Ce dernier se révèle tout autant pénélopique que le précédent : ni plus qu’un presque autre livre, ni moins qu’un autre presque livre. Décidément, écrire jusqu’au bout serait trahir.

J’ai longtemps cherché, et je cherche encore, ce non-livre parmi d’autres non-livres, ayant oublié où je l’avais rangé, sans doute quelque part entre deux lettres, deux genres, deux couleurs. À moins qu’il ne soit devenu, comme par enchantement, un fantôme dans la bibliothèque. À bon éditeur…

Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres. Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 208 p., 15,20 €

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