Suspense (26)
Dans Le couteau, Harry Hole, enquêteur de l’auteur norvégien Jo Nesbø, s’est remis à boire depuis que sa compagne Rakel l’a définitivement mis à la porte. Un dimanche matin, après une énième biture, il se réveille les mains et les habits couverts de sang sans aucun souvenir de ce qui s’est passé la nuit précédente.
Joe Nesbø, Le couteau. Trad. du norvégien par Céline Romand-Monnier. Gallimard, 608 p., 22 €
Si vous avez l’impression d’avoir déjà lu cela mille fois, peu importe, car notre Norvégien aux 40 millions de romans vendus dans le monde a l’habitude de revisiter avec brio des situations polaresques vieilles comme Edgar Poe. Dès ses débuts, en effet (Rouge-gorge, L’homme chauve-souris, Les cafards, Le léopard), Joe Nesbø a fait preuve d’une remarquable capacité à exploiter les trucs les plus éculés du genre tout en faisant s’entrecroiser avec brio de multiples intrigues habilement manipulées pour créer atmosphère et suspense.
Le couteau révèle cependant quelques signes de fatigue et n’échappe pas à la facilité en s’adonnant à la longueur (le livre fait 608 pages) et au poncif moraliste ou sentimental. Mais les inconditionnels de Harry Hole s’en moqueront, fascinés qu’ils sont par cet enquêteur plus solitaire, asocial et alcoolisé que ne le veulent les standards du noir. Tout juste ses inconditionnelles s’étonneront-elles que, malgré son état éthylique très avancé, chaque dame qu’il rencontre soit désireuse de sauter immédiatement dans son lit. Ce doit être le charme norvégien, version homme d’action : 1,93 m, muscles d’acier et yeux de glacier, visage couturé de cicatrices, index en titane.
Sans doute aussi ces femmes veulent-elles le consoler de la plus grande perte de son existence, qui survient peu après le début du livre, celle de Rakel. Eh oui, celle-là même qui l’avait rayé de sa vie. Mais si Hole envisage le suicide, il n’y songe qu’une fois qu’il aura trouvé l’assassin. Plusieurs pistes se présentent avec leurs coupables potentiels : Svein Finne, un violeur et tueur en série qu’il a autrefois fait mettre en prison ; Adolph Bohr, un vétéran de la guerre d’Afghanistan traumatisé par les combats ; Kaja, cadre de la Croix-Rouge droguée à la violence de ses missions à l’étranger… Mais chacune de ces enquêtes tourne court, même avec l’aide de ses collègues policiers, et c’est finalement lui-même que Hole vient à accuser (souvenez-vous du sang sur ses vêtements, ce fameux dimanche matin).
Il n’est bien sûr pas l’assassin – Nesbø a besoin de lui pour un treizième roman. Une résolution finale aussi imprévisible que peu crédible viendra clore Le couteau. Mais là encore, cela n’a pas beaucoup d’importance, la plausibilité n’étant pas une des priorités de Nesbø. L’important est que le lecteur parvienne à se distraire au fil des pages grâce aux constants retournements de l’intrigue et qu’il réussisse à conserver sympathie et intérêt pour son héros pochtron norvégien. Mais bon, cette fois-ci, c’est de justesse.