Disques (16)
Le centenaire de la naissance de Mieczysław Weinberg s’accompagne de la parution bienvenue de nombreux disques. Le Trio Lirico associe son trio à cordes à ceux de Krzysztof Penderecki et d’Alfred Schnittke, constituant ainsi un programme chargé d’histoire.
Weinberg – Penderecki – Schnittke, Trio Lirico : Franziska Pietsch (violon), Sophia Reuter (alto), Johannes Krebs (violoncelle). Audite, 20 €
Comme dans ses préludes pour violoncelle seul mais de façon plus évidente, Mieczysław Weinberg écrit en 1950 un trio utilisant clairement les sonorités et les mélodies des musiques traditionnelles, ici yiddish et moldaves. Cela ne l’empêche pas de composer un deuxième mouvement en forme de fugue, véritable emblème de la musique savante. Le thème en est étiré par le violon dans un vaste geste, à la fois admirable et lamentable. Dans le troisième mouvement, une pulsation quasi permanente annonce déjà les accords initiaux du trio de Penderecki qui lui succède. La part belle y est donnée au violon qui s’épanche dans une mélodie très lyrique.
Krzysztof Penderecki est né dans le sud de la Pologne en 1933. Il est touché de très près par la guerre : un de ses oncles est assassiné lors du massacre de Katyn, un autre, résistant, est tué à Varsovie. Nombre de ses compositions sont marquées par l’histoire du XXe siècle. L’une d’elles, De natura sonoris, est d’ailleurs utilisée dans le film Katyń d’Andrzej Wajda. Une autre, le Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima, fait un effet comparable à celui que provoquent les eaux-fortes de la série Der Krieg d’Otto Dix. Après les avoir vues, on se souvient à jamais de ces images terribles de la Première Guerre mondiale. De la même manière, le thrène déchire irréversiblement les oreilles, les tympans gardent la mémoire des cris insoutenables auxquels les sonorités renvoient.
Le trio de Penderecki date de 1991 et n’évoque pas directement la guerre. Mais, de l’avis des membres du Trio Lirico, le trio à cordes, par son caractère intime, est un genre propice à exprimer les blessures et les pressions subies par un compositeur. La proximité unique des timbres du violon, de l’alto et du violoncelle crée ce climat intimiste, les différents registres donnant de multiples voix au discours musical. De sauvages accords sonnent l’ouverture tragique du premier mouvement qui, de bout en bout, maintient une tension très forte. Dans un premier temps, trois mélodies (successivement jouées au violoncelle, à l’alto et au violon) aboutissent systématiquement aux mêmes accords assénés. Les voix se mélangent ensuite dans d’étranges tourbillons, chacune faisant entendre son discours, plaintif pour l’une, angoissé pour l’autre. Un peu d’humour apparaît néanmoins dans les dernières secondes lorsque, par anticipation, on entend le thème du second mouvement vivace. Vivace ne semble pas être une indication de tempo pour le Trio Lirico, qui joue l’ensemble de l’œuvre de Penderecki dans un tempo sensiblement plus lent que la plupart de ses autres interprètes. Mais vivace, le mouvement l’est de façon assez évidente dans le caractère. Le contraste avec le premier mouvement, qui s’achevait dans une sorte d’inquiétude prudente, est saisissant : le thème du second mouvement, énoncé dans un tempo mesuré, l’est avec assurance. Et, à cette vitesse, on peut profiter pleinement d’une écriture contrapuntique élaborée qui participe au caractère vivace du mouvement. Et cela autorise même les musiciens à nous égarer dans la richesse des timbres de leurs instruments qui ne se distinguent parfois plus.
Le trio d’Alfred Schnittke est composé en 1985, entre les deux précédents, mais il réalise une sorte de synthèse. On a plaisir à y entendre une musique richement thématique. Un thème, le premier, nous semble assez familier même si on ne le reconnaît pas directement : Schnittke écrit une variante de la chanson Happy birthday to you, puisque ce trio est une commande pour le centenaire de la naissance d’Alban Berg. Certains passages, notamment dans le premier mouvement, sont beaucoup plus harmoniques, évoquant à certains moments les chorals d’église et à d’autres la musique répétitive. Dans le second mouvement, on perçoit parfois une colère contenue puis étouffée mais point calmée puisqu’elle finira par exploser de façon grandiose à la huitième minute. Elle laissera alors la place à un lyrisme qui culminera de façon sublime sous les doigts et l’archet de la violoniste deux minutes plus tard.