Si l’on fait commencer l’épopée du surréalisme en 1919 – date de création des Chants magnétiques – et non en 1924 – date du premier manifeste d’André Breton –, 2019 marque le centenaire d’une aventure toujours en mouvement au moment même où j’écris ces lignes. Un anniversaire fêté par le projet pharaonique d’une encyclopédie internationale, en anglais, dirigée par Michael Richardson.
Michael Richardson (dir.), The International Encyclopedia of Surrealism. Bloomsbury, 3 vol., 1 780 p., 470,10 €
Le remarquable travail effectué par Michael Richardson, et son équipe, à savoir Dawn Ades, Krzysztof Fijalkowski, Steven Harris et Georges Sebbag, tous responsables de cette Encyclopedia, fait d’ores et déjà date dans l’histoire du surréalisme. Extrait de l’introduction de Richardson : « Soon after he retired from film making, the great Hollywood director Josef von Sternberg was asked whether he had a hobby. He responded : ‟Chinese philately”. Why ? ‟Because it is a subject I could not exhaust”. He might equally have choosen ‟surrealism”, the most complex intellectual movement of the twentieth century that had developed in such a way as to make it a subject whose study is literally inexhaustible [1]. »
À l’origine du projet, l’annonce faite par André Breton en 1964, soit deux ans avant sa mort, d’une grande encyclopédie du surréalisme, réalisée par une centaine de collaborateurs, et abondamment illustrée ; on sait que cette idée n’a pu alors voir le jour, et c’est pourquoi Michael Richardson a souhaité relever le défi, en toute humilité, sa profonde connaissance du sujet comme son implication personnelle au sein du mouvement international justifiant totalement l’entreprise. Autre extrait : « Nevertheless, in introducing this Encyclopedia it is incumbent upon us to give an account of what this modern ‟ism” is and has been, how it has affected the sensibility of the twentieth century and remains present to us in the second decade of the twenty-first [2]. »
Accompagné de plus de deux cents illustrations en noir et blanc, et d’une centaine de reproductions en couleurs des principaux peintres et artistes issus du surréalisme, ce monumental ouvrage commence par souligner le caractère international du mouvement en analysant la manière dont se présente son activité au sein des vingt-trois pays que voici : Argentine, Belgique, Brésil, Grande-Bretagne, Canada, Caraïbes, Chili, Tchécoslovaquie, Danemark, Égypte, France, Grèce, Japon, Mexique, Pays-Bas, Océanie, Pérou, Portugal, Roumanie, Espagne, Suède, USA, Yougoslavie, même si certains ont été depuis démembrés politiquement…
On voit que la seule France, essentielle matrice du surréalisme, ne constitue pas pour autant l’unique source d’invention et de création d’un mouvement qui incarne à lui seul les principaux bouleversements survenus dans l’histoire de la pensée contemporaine depuis un siècle ; car le surréalisme est ce qui sera, démontre cette Encyclopédie que l’on souhaiterait traduite un jour en français.
Soixante et un concepts sont ensuite étudiés, allant de l’alchimie ou de l’anarchisme à l’inconscient et au merveilleux, en passant par la philosophie, la poésie et le rapport au pouvoir ; toutes les formes d’art sont également passées en revue, du cinéma au jazz et à l’écriture narrative, de la peinture à la culture populaire, de la photographie au théâtre ; chacune des revues surréalistes, françaises ou étrangères, fait l’objet d’un recensement, de même que les créateurs se situant dans les marges du mouvement. Ceci pour le volume 1. Les volumes 2 et 3 sont principalement consacrés à une présentation, de A à Z, de chacune des personnalités ayant contribué, ou contribuant encore, à l’aventure : théoriciens, critiques, romanciers, dramaturges, poètes, scénaristes, peintres, dessinateurs et collagistes, sculpteurs, cinéastes et photographes font ainsi l’objet de notices particulières que de très nombreux collaborateurs de tous les pays ont rédigées ; parmi ceux-ci, et pour la France, on relèvera notamment les noms de Bertrand Schmitt, Dominique Rabourdin, Emmanuel Guigon, François Leperlier, Guy Girard, Joël Gayraud, Petr Král, François-René Simon, Georges Sebbag, Jacqueline Chénieux-Gendron ou votre serviteur, beaucoup d’autres encore.
Un ouvrage capital pour tous ceux qui s’intéressent au surréalisme, comme pour tous ceux qui le découvriront ainsi. À condition de lire l’anglais, bien sûr !
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« Peu après qu’il eut cessé de faire des films, on demanda au grand réalisateur hollywoodien Josef von Sternberg s’il avait un hobby. Il répondit : “la philatélie chinoise”. Pourquoi ? “Parce que c’est un sujet que je ne pourrais épuiser” Il aurait aussi bien pu choisir “le surréalisme”, le mouvement intellectuel le plus complexe du vingtième siècle, qui, par la manière dont il s’est développé, est devenu un sujet littéralement inépuisable. »
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« Néanmoins, en introduisant cette Encyclopédie, il nous appartient de rendre compte de ce qu’est et de ce qu’a été ce moderne “isme”, de la façon dont il a affecté la sensibilité du vingtième siècle et nous demeure présent dans la deuxième décennie du vingt et unième. »