Pierre Peuchmaurd, l’enchanteur

Rares sont les poètes qui ont été habités par la poésie comme le fut Pierre Peuchmaurd. Il l’avait dans le sang et à fleur de nerf. Dans un entretien avec Olivier Hobé, il raconte que toute sa jeunesse fut environnée de livres, qu’il fut « ouvert », selon son expression, par des livres tels que Nadja et Les filles du feu. L’écriture de son premier poème, à l’âge de treize ans, lui fit l’effet d’un véritable coup de foudre, un « ébranlement physique » dont il cherchera à renouveler toute sa vie les marques. Une rencontre avec André Breton, qui « illumina » ses seize ans, fit le reste. Cependant, s’il porta à un haut degré l’esprit surréaliste, s’il a maintenu des liens amicaux avec quelques-uns de ceux qui s’en réclamaient, le qualificatif n’est guère indispensable : Pierre Peuchmaurd est un poète, voilà tout.


Pierre Peuchmaurd, Le secret de ma jeunesse. Pierre Mainard, 114 p., 15 €


Ce qui frappe d’emblée dans l’œuvre de Peuchmaurd, c’est la liberté. Ce n’est pas qu’il révolutionne la manière d’écrire, certes non. Il s’exprime dans un style d’une grande simplicité et lisibilité. Toute sa capacité d’invention se concentre dans les images qui semblent naître spontanément sous son regard, un certain regard érotisé et tendre qu’il porte sur le réel, souvent la nature, qui l’entoure et dont il fait apparaître la part imaginaire. Il crée la surprise, nous prend au dépourvu. S’il y a, avec l’amour, une autre dimension de sa poésie, c’est celle de l’imprévisible. Le premier vers étant posé, bien malin le lecteur qui pourrait en déduire la suite, qui ne répond à aucune règle habituelle de la construction des images poétiques. Le mieux est de prendre un exemple. Le dernier recueil récemment publié aux éditions Pierre Mainard, Le secret de ma jeunesse – avec un frontispice de Jean-Pierre Paraggio –, commence ainsi :

Passé le feu,

le feu revient

avec sa laine et ses épines

avec les fleurs du marronnier

avec la mer au bout des branches

Passé le feu,

le bleu répond pour la brûlure

une boule d’ivoire au bout des doigts

Si l’on cherche à comprendre le mécanisme, on n’y parvient pas vraiment. Le poème procède par bonds, à la façon de ces bêtes que Peuchmaurd affectionnait tant et qui traversent souvent son écriture, révélant ainsi que c’est l’instinct qui le guide vers l’inconnu. Il a cette « façon naturelle, immédiate, de voir, d’entendre, de sentir ». Comme souvent chez lui, il est probable que les mots lui soient venus sur la langue au fil de la marche, au cours d’une promenade, s’affinant au fur et à mesure dans sa mémoire car il ne notait rien.

Pierre Peuchmaurd, Le secret de ma jeunesse

Pierre Peuchmaurd © Antoine Peuchmaurd

Comment parler d’une telle poésie sans la trahir ? Elle s’impose au lecteur à la fois comme une fulgurance et une évidence : « c’est ça », voilà ce qu’on ressent. L’émotion est là et se passe de commentaires. Mais si l’on insiste, si l’on essaie de l’évoquer dans ce métalangage qu’est fatalement toute critique, il est possible, non pas de la situer dans un courant littéraire ou alors par la marge, mais d’en dégager quelques caractéristiques. Il faut prendre au mot Pierre Peuchmaurd quand il nous dit : « la poésie est une propriété de la matière ». Et cette matière, c’est le monde immédiat, celui où il vit et qu’il retravaille par le désir, l’une des clefs de sa quête poétique qui est très charnelle, d’un lyrisme feutré qui avance à pas de loup pour mieux surprendre sa proie. Il a cette capacité à faire parler les lieux, à ouvrir des portes insoupçonnées sur ce qu’il appelle « l’arrière-monde ». Le rythme des saisons, du jour et de la nuit, avec ses variations de couleur à tel ou tel moment, est très présent dans ses livres, mettant en évidence une préoccupation liée au temps et à son ultime verrou : la mort. L’ennui, la mélancolie, certes, mais c’est surtout l’émerveillement qui rôde dans toute son œuvre, comme le montre ce nouvel extrait du Secret de ma jeunesse :

Il y a des péninsules

et du bleu sur les branches

il y a de l’or entier

dans la neige qu’on récite

et des tessons de lune

dans la paille du carrefour

il y a qu’il pleut le dimanche

et que ça exaspère

les lents porteurs d’amour

Pierre Peuchmaurd, Le secret de ma jeunesse

Frontispice du « Secret de ma jeunesse » © Jean-Pierre Paraggio

Quand on lit Peuchmaurd, on ressent comme une brise légère qui purifie le regard. Dans son écriture, le monde s’éveille à chaque instant à la fraîcheur de la vie, engendrant tous les possibles, et jouant, tel un éternel enfant : c’est sans doute cela le secret de la jeunesse des écrits de Pierre Peuchmaurd dont nous sommes quelques-uns à penser qu’il est un grand poète, encore trop méconnu.

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