Deux correspondances d’André Breton paraissent en même temps. L’une raconte vingt ans de relation avec Paul Éluard et l’histoire du surréalisme. L’autre éclaire son amitié avec Simone Debout et sa redécouverte de Charles Fourier.
André Breton et Paul Éluard, Correspondance 1919–1938. Présentée et éditée par Étienne-Alain Hubert. Gallimard, 464 p., 32 €
André Breton et Simone Debout, Correspondance 1958-1966. Suivi de Mémoire. D’André Breton à Charles Fourier : la révolution passionnelle et de Rétrospections. Édition établie, annotée et présentée par Florent Perrier, avec le concours d’Agnès Chekroum. Claire Paulhan, 288 p., 35 €
Comment rendre compte de la correspondance entre André Breton et Paul Éluard mieux – « autrement » serait plus juste – que ne l’a fait Étienne-Alain Hubert dans son introduction à ce volume ? « Mieux » est impossible en effet, tant le décryptage empathique opéré dès les premières pages par celui qui est certainement, aujourd’hui, le meilleur connaisseur du surréalisme parmi les historiens du Mouvement m’oblige à épouser au plus près les moments de cette introduction, à la paraphraser en quelque sorte, le lecteur est prévenu ! À une nuance près, cependant, sur laquelle je reviendrai plus tard.
Pour commencer, deux citations d’Étienne-Alain Hubert qui donnent le la : « Se plonger dans ces échanges, c’est prendre la mesure de l’aventure d’une amitié créatrice, d’une ferveur partagée intensément entre deux êtres qui, passé deux ou trois ans d’estime mutuelle, vont instaurer entre eux une complicité véritablement ‟fraternelle”, selon l’adjectif employé plusieurs fois par Breton » ; et, plus loin : « Le lecteur, le chercheur, l’amateur au sens vrai pourront mesurer qu’Éluard aura été aux côtés de Breton une personnalité majeure du mouvement, non seulement grâce à l’admirable épanouissement proprement surréaliste qui rayonne dans son œuvre de poète jusque dans les années 1937-1938, mais aussi par ses participations ardentes et ses apports propres aux orientations majeures ». On verra que, plus tard, les choses vont se gâter, comment et pourquoi ; mais n’anticipons pas.
Paul Éluard publie, en 1917, un recueil de poèmes intitulé Devoir et inquiétude qu’il adresse à Breton. En février 1919, Jean Paulhan lui écrit : « Je voudrais que vous connaissiez Breton », ajoutant qu’il le verrait bien participer à la revue Littérature alors en préparation. Le 4 mars 1919, Breton prend contact avec Éluard, mentionne l’intervention de Paulhan dont il a connaissance, et lui propose de lui adresser quelques poèmes aux fins de publication dans ce numéro 1 de Littérature qui paraîtra tardivement, fin mars semble-t-il. Le contact est pris, le rapprochement amical est en route, une grande complicité s’installe dès lors entre les deux hommes, mais n’oublions pas que Breton est encore médecin auxiliaire au camp d’aviation d’Orly et qu’il ne sera démobilisé que le 19 septembre 1919 !
Les échanges vont se multiplier, Paul Éluard rejoindra rapidement les dadaïstes, participera activement aux manifestations organisées par ces trublions multipliant les scandales, et il faudra attendre août 1923 pour voir les deux épistoliers passer au tutoiement ; l’affectivité joue désormais son rôle, les lettres échangées le prouvent, de même que les « pneumatiques » aujourd’hui disparus, remplacés par ces « mails » qui ne laissent aucune trace…
Mais si l’on peut suivre ainsi un dialogue régulier entre les deux hommes, c’est aussi « grâce » à la tuberculose tenace dont souffre Éluard, ce qui lui vaut de longs et tristes séjours en sanatorium, ou à l’hôtel dans cette Suisse où il s’ennuie copieusement. Cette correspondance est devenue « une exigence vitale pour l’un comme pour l’autre », et les confidences intimes abondent comme cela ne peut se produire qu’entre deux vrais amis. Des rencontres amoureuses aux difficultés financières, tout se dit, rien n’est occulté, l’affection l’emporte.
En janvier 1921, Breton adresse à Éluard un texte le concernant, destiné à une anthologie qui ne se fera pas ; à cette occasion, Hubert note ceci : « On relève la force avec laquelle Breton signale dans la poésie d’Éluard un souci de dépouillement qui en fait une ‟poésie de l’abstraction”. Avec une insistance égale, le futur auteur de l’essai ‟Les Mots sans rides” exalte le pouvoir qu’Éluard sait mystérieusement conférer au mot indépendamment de la signification ». On ne saurait mieux dire, en l’occurrence.
Les soirées consacrées aux sommeils hypnotiques de l’année 1922 sont évoquées, comme les prodigieux « jeux de mots » de Desnos qui en résultent ; petit à petit, par glissements successifs et ruptures plus brutales, le dadaïsme cède la place au surréalisme, lequel l’a pourtant précédé historiquement puisque Les champs magnétiques de Breton et Soupault marquent l’origine, en 1919, de l’écriture automatique, la clé même de ce mouvement ; Dada n’aura été qu’une parenthèse, dans le sillage de Jacques Vaché et de Cravan.
Les surréalistes ont, toutefois, gardé le goût du scandale, mais d’un scandale « à contenu » ; ainsi, dans une lettre du 5 juillet 1925, Breton raconte-t-il à Éluard (alors à Bagnères-de-Luchon) la soirée du banquet Saint-Pol-Roux, à La Closerie des Lilas ; le poète symboliste était hautement apprécié de Breton et des surréalistes, mais, comme ils venaient de prendre violemment position contre la guerre du Maroc et avaient ridiculisé Paul Claudel en se désolidarisant de « tout ce qui est français, en paroles et en actions », lorsque Rachilde tient à l’égard de l’Allemagne des propos d’un nationalisme agressif que Breton prend pour des insultes à l’égard de Max Ernst, présent dans la salle, un pugilat général s’ensuit, au cours duquel Michel Leiris sera particulièrement malmené. Dans sa lettre, Breton fait part à Éluard de sa déception quant au comportement de Saint-Pol-Roux qui « au plus fort de la bagarre n’avait pas d’autre idée que de trouver son chapeau pour partir ». Le Grand Poète n’était pas à la hauteur !
On notera qu’au fil du temps l’amitié entre les deux hommes se teintera d’une certaine tendresse, Breton commençant ses lettres par « Mon cher petit », tandis qu’Éluard termine les siennes par des « Ton ami pour toujours » ; on verra pourtant que les aléas de la vie, et les exigences qui sont les leurs, vont leur tendre à l’avenir quelques pièges.
Un premier accrochage se produira à la suite de la participation de Max Ernst et de Miró aux Ballets russes de Serge Diaghilev pour la première de Roméo et Juliette le 26 mai 1926, au théâtre Sarah Bernhardt, les deux artistes se partageant la création des décors et des costumes. Breton, Aragon et quelques autres surréalistes firent grand tapage lors de la représentation et lancèrent au public un tract qui dénonçait cette façon de « pactiser avec les puissances de l’argent ». Si Éluard, absent de Paris pour raisons de santé, regrette lui aussi la chose, il déclare néanmoins par lettre à Breton que « non, non et non, je ne l’aurais pas signée » (cette protestation), une simple désolidarisation lui paraissant suffisante, en lieu et place de cette « accusation ». Affaire classée.
Et puis les épisodes de la vie et du groupe, et des amis, se succèdent, que l’on suivra au fil des lettres : la rencontre amoureuse de Breton et Suzanne Musard, la « découverte » par Éluard des Maximes de Novalis – où l’on trouve le célèbre « L’eau est une flamme mouillée » – dont Breton captera le message, l’intérêt manifesté par Breton pour l’astrologie, et le « thème » d’Éluard établi par ses soins, le grand pessimisme de Breton lors de la crise des années 1930 au sein du surréalisme alors que plusieurs amis le quittent avec fracas – « il est tard et je me trouve seul. Ce soir et dans la vie […] Je n’ai peut-être rien aimé que l’amour » –, la visite d’une étrange inconnue, « sans doute la femme la plus intelligente et la plus émouvante que personnellement j’ai rencontrée », qui se jette à son cou et qui, en le quittant, lui dira : « J’ai ce que je donne », les avatars du passage par le PCF, et le reniement du surréalisme par Aragon de retour d’un voyage à Kharkov, les réticences d’Éluard à mener une activité politique, lui qui deviendra un peu plus tard un fervent stalinien aux côtés d’Aragon, lequel, à cet instant, déclenche cependant sa fureur, l’apparition de Dalí et de son délirant questionnaire, les conflits avec l’AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaires) sous domination moscoutaire, la revue Minotaure, le voyage à Prague de Breton et Éluard, en mars 1935, auprès des surréalistes tchécoslovaques Nezval, Teige, Toyen, et l’écrivain journaliste Kalandra, sur lequel nous allons revenir, bien d’autres encore.
Nouvel accrochage en mars 1936 : Éluard annonce à Breton qu’il ne veut plus avoir d’activité commune avec Benjamin Péret ; nous ne saurons pas quel est le motif de ce rejet, mais Breton, touché au plus profond, reportera encore davantage sur Péret l’amitié totale, la véritable affection qu’il avait pour Éluard, amitié qui ne prendra fin qu’avec le décès du plus grand poète surréaliste (1959).
Mais les choses vont s’aggraver rapidement entre les deux hommes. Dans une lettre du 8 avril 1936, Éluard écrit : « Tout cesse entre nous. Des discussions comme celle de ce soir et d’autres qui n’ont jamais lieu que devant des tiers sont une horreur à laquelle je préfère tout sacrifier ». Allusion est faite à une réunion entre les surréalistes et le groupe « Contre attaque », constitué autour de Georges Bataille avec d’anciens surréalistes (Leiris, Queneau, Baron). Hubert note : « Ce jour-là, Éluard a eu le sentiment d’être rabaissé en public par Breton qui, de son côté, n’a pas supporté d’être ouvertement critiqué par lui, comme il va le lui écrire le 9 avril ». Voici : « Cette discussion c’est toi qui l’as rouverte en remettant en cause une décision unanime que nous avions prise et en annulant l’engagement que tu avais signé ». Le 10 avril, Éluard confirme son « retrait » : « tout ira mieux sans moi. J’en suis définitivement assuré », entérinant ainsi une rupture quasi définitive. L’exposition de Londres verra néanmoins les deux ex-amis participer à son organisation en juin 1936, chacun évitant soigneusement de côtoyer l’autre.
Et puis le fossé politique s’agrandit rapidement ; en octobre 1936, Breton porte le fer : « J’ai lu avec stupeur ton nom en bas d’un texte où les intellectuels groupés autour de la Maison de la Culture ‟expriment leur gratitude à l’URSS” (leur gratitude !) qui a ‟sauvegardé les principes indestructibles” (sic) de la justice, de la dignité. Le procès de Moscou est en effet un modèle du genre ! Je ne me console pas de l’idée que tu penses cela, d’accord avec Aragon, Baby, Sadoul, Unik, Desnos et autres ». Toujours plus fier de son aveuglement, Éluard répond : « Je ne me rangerai pas parmi tous ceux […] qui crient actuellement contre le communisme […] et tentent de nous faire croire qu’il n’y a pas de différence entre l’Allemagne ou l’Italie et l’URSS ». Sur ce dernier point, l’Histoire a tranché !
Quelques échanges épistolaires verront encore le jour en 1937 et 1938, comme cette lettre d’Éluard du 12 octobre 1938, où il déclare : « Je te demande donc de retirer mon nom du comité de rédaction de ‟Minotaure”, qui aura été ainsi le dernier témoignage de notre entente. » Le lendemain, Breton confirme : « je me suis trouvé devant ce dilemme : ou bien m’éloigner de toi, ou bien devoir renoncer à m’exprimer sur ce qui constitue, avec le fascisme, la principale honte de ce temps […] Il y allait pour moi de la signification même du surréalisme et de ma vie ». Dont acte.
« C’est l’Histoire qui aura brisé [l’amitié] d’André Breton et de Paul Éluard » ; par cette phrase, Étienne-Alain Hubert termine sa remarquable introduction. Toutefois, qu’il me soit permis de revenir sur un fait, le plus grave peut-être, dont il ne nous livre que la première moitié. Lors de leur voyage en Tchécoslovaquie durant les années 1930, Éluard et Breton avaient rencontré, auprès des surréalistes, Zavis Kalandra, écrivain, militant et journaliste, avec qui ils avaient eu les échanges les plus amicaux, basés sur la confiance. Or, en juin 1950, un procès indigne est intenté à Kalandra et quelques autres, lesquels après avoir été torturés sans interruption pendant trois jours et trois nuits, s’étaient livrés à des « aveux spontanés », accusés qu’ils étaient d’être « des criminels aigris » et autres « chiens sanguinaires », on connaît la chanson ! Dans une « Lettre ouverte à Éluard », publiée dans le journal Combat du 13 juin, Breton écrit : « Comment, en ton for intérieur, peux-tu supporter pareille dégradation de l’homme en la personne de celui qui se montra ton ami ? » Et c’est là, cher Étienne-Alain Hubert, que vous semblez ignorer quelle fut la réponse d’Éluard, le 19 juin, dans les colonnes du journal communiste Action. Tenez-vous bien, c’est la monstruosité même qui est ici à l’œuvre ; voici : « J’ai trop à faire avec les innocents qui clament leur innocence, pour m’occuper des coupables qui clament leur culpabilité ». Kalandra fut exécuté.
Ainsi, après avoir trahi son amitié avec Breton, trahi le surréalisme auquel il avait tant donné, et réciproquement, Éluard accomplissait-il enfin la trahison suprême, la trahison absolue, la trahison de lui-même. Les histoires d’amitié finissent-elles toujours mal ? Rien n’est moins sûr ! Mais passons maintenant du domaine de la trahison à celui du « bonheur » de la rencontre.
À commencer par celle de Breton avec les œuvres complètes de Charles Fourier, à New York, en 1945. La lecture passionnée de l’utopiste va avoir, sur sa pensée, une influence décisive passant par un certain nombre d’interrogations sur la vraie valeur du matérialisme dialectique marxiste au regard de la théorie de l’attraction passionnelle vers l’Harmonie Universelle comme source de la vie sociale. De retour en France, Breton publiera aussitôt, en 1947, son Ode à Charles Fourier, long et magnifique poème entrecoupé de réflexions théoriques ; dans le même mouvement, aux deux mots d’ordre, transformer le monde (Marx) et changer la vie (Rimbaud), il ajoutera un audacieux objectif pour le surréalisme : refaire de toutes pièces l’entendement humain, directement issu de l’influence du génial phalanstérien.
Ailleurs, dans la période allant de 1939 à 1945, une jeune femme se livre à une intense activité de résistance à l’occupation et à la propagande nazie. Parmi ses camarades de combat, elle rencontre un homme dont le nom clandestin est Debout. Lorsque, plus tard, ils se marieront, Simone Devouassoux adoptera ce pseudonyme pour signer ses travaux. Belle histoire, non ? Et ce n’est pas tout : « Un ami historien, Fernand Rude, me donna un beau jour des années 50 la Théorie des quatre mouvements », raconte Simone Debout au début de son « Mémoire ». Elle ajoute : « ‟Cela t’intéressera sans doute”, dit-il. Or ce fut un tel enchantement, le retour au pays d’enfance, au pays des fées, un retour du sensible affectif qui rendait présent et à venir ce qui n’était plus qu’absence, les grandes espérances révolutionnaires, despotiquement piégées derrière un mur, un rideau de fer ». Puis Simone Debout dévore livres et manuscrits de Fourier et, bien sûr, l’Ode de Breton. « Doublement enchantée, je trouvai tout simple alors de dire à Breton mon désir de le connaître. Et lui, tout simple, de m’accueillir rue Fontaine et de me guider dans le grand atelier où, malgré les hautes verrières, on avançait comme dans la sente ombrée d’une forêt ». Ce sera le début d’une correspondance où l’estime et l’amitié feront cortège à la lucidité.
La première des lettres ici réunies est de Breton, en date du 30 juillet 1958. Il évoque une thèse sur Fourier que lui aurait remise Simone Debout lors de sa visite et lui demande l’autorisation d’en publier un extrait dans le n° 5 de la revue Le Surréalisme, même. Cette thèse restera inédite et inachevée, mais une partie importante en sera finalement publiée comme prévu dans le n° 5, seulement au printemps 1959, sous le titre « La Psychosociologie de Fourier ». Comme Breton s’inquiétait de ce qu’elle pouvait penser de la revue Le 14 juillet, lancée par les surréalistes et nombre d’intellectuels de gauche pour alerter les esprits sur la prise de pouvoir par de Gaulle, suite au coup d’État d’Alger, Simone Debout lui répond, le 29 septembre, avec franchise ; après avoir passé en revue les différents textes et approuvé la plupart d’entre eux, elle n’hésite pas à émettre la réserve suivante : « je n’apprécie guère l’article leader de D. Mascolo et J. Schuster parce qu’il sacrifie à l’inflation verbale imprécise, dénoncée en d’autres pages ». Un bel exemple de lucidité n’ayant pas peur des mots ! Comme lorsqu’elle ajoute dans la même lettre : « La gauche a été vaincue sans bataille. Même si, comme je le pense, de Gaulle ne représente pas un fascisme – voilà qui est certain et nouveau : le socialisme ne vit plus vraiment en France […] La fraîcheur de Fourier alors et encore me paraît irremplaçable – et ses critiques, sa rage créatrices ».
Dès lors, les lettres vont se succéder, toutes plus chaleureuses, amicales et riches en informations sur les découvertes opérées par Simone Debout. Exemple, ce 4 août 1962, où elle déclare : « J’ai eu le temps de réunir, je crois, tous ou presque tous les inédits : Le Nouveau monde amoureux et une bonne part des textes cosmogoniques inconnus ». Breton connaissait l’existence de ces textes car Pierre Naville, dans une lettre de juillet 1946, l’avait informé qu’à la bibliothèque de l’École normale supérieure se trouvaient « des manuscrits érotiques et obscènes de Fourier, du plus haut intérêt, Fourier y apparaissant comme une sorte de continuateur éthéré de Sade » ; Breton avait eu le désir de les publier, comme en témoigne une note dans son Anthologie de l’humour noir, mais les cahiers correspondants auraient disparu au cours des transferts clandestins dus à la guerre. C’est donc à Simone Debout que, par un singulier hasard objectif, revint la chance de les publier, sachant que ces textes auraient été délibérément soustraits à l’œuvre de Fourier par le cercle de ses disciples, et par pudibonderie, selon diverses hypothèses.
La qualité de leurs échanges se reflète, par exemple, dans ces quelques lignes de Breton qui, évoquant le « grave sourire » de Simone Debout, écrit : « Il me fait penser au seul soleil que j’aime, celui – très pâle – des matins d’hiver, quand il avait eu tout le temps de se faire oublier et qu’il n’existe encore, si l’on peut dire, qu’à l’état de promesse. Il glisse en ce moment sur mon cœur et je n’aspire à rien tant qu’à vous en retourner, au plus haut point propice, le rayon ».
Dans son « Mémoire », Simone Debout décrypte, fragment par fragment, l’Ode à Charles Fourier, et fait ressortir, plus loin, cette vérité fouriériste qui serait : Il faut partir des passions pour construire la société, non l’inverse. Elle précise : « les passions étant mouvements intérieurs, tendus vers l’extérieur, doivent jouer entre elles et avec les passions des autres et les mouvements de la nature ou du monde humain ». Aussi, en 1965, quand les surréalistes organisèrent une exposition internationale de combat contre la société spectaculaire de consommation, l’appelèrent-ils, à la suggestion de Breton, L’Écart absolu, en hommage à Charles Fourier pour qui c’était un principe actif.
Et puis Simone Debout cite l’ultime éloge de Breton à Fourier, à la fin de son Ode : « ton tact suprême dans la démesure / Au grand scandale des uns sous l’œil à peine moins sévère des autres soulevant son poids d’ailes ta liberté ». Ce qu’elle commente ainsi : « Une liberté commune et singulière dont le développement progressif crée un foisonnement de désirs et de satisfactions si bien joints, accordés, harmonisés qu’ils seraient invincibles, et le mouvement révolutionnaire continu et pacifique ». Car il s’agit de réenchanter le monde.