Le Sud sans bruit ni fureur 

L’amour en saison sèche et September September, deux romans de Shelby Foote (1916-2005), reparaissent quelques décennies après leurs premières traductions, datant respectivement de 1953 et 1978, alors qu’ici en France leur auteur est assez oublié.


Shelby Foote, L’amour en saison sèche. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Hervé Belkiri-Delhuen. Traduction révisée par Paul Carmignani. Rue d’Ulm, 320 p., 20 €

Shelby Foote, September September. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Jane Fillion. Traduction révisée par Marie-Caroline Aubert. Gallimard, coll. « Série noire », 448 p., 19 €


Aux États-Unis, le sort de Shelby Foote est un peu différent. Après un début très honorable dans les années 1950 en tant que romancier du Sud, il disparut des librairies pour, quelques décennies plus tard, regagner la faveur du public comme romancier d’Histoire. En effet, sa présence à la télévision publique américaine en 1990 dans une série documentaire sur la guerre de Sécession fit revenir vers lui des milliers de lecteurs qui s’arrachèrent ses trois gros volumes consacrés au sujet (The Civil War : A Narrative) et ses livres antérieurs. Il retrouva ainsi la renommée grâce à la fois à son talent d’écrivain et à l’image de gentleman sudiste à l’ancienne qu’il avait su médiatiquement projeter.

L’amour en saison sèche et September September, de Shelby Foote

Shelby Foote vers 1950 © Franke Keating

Ses romans ont cependant, comme lui, leur petit côté à l’ancienne : les sujets sont typiquement « bien de la région », ses trames narratives d’un réalisme un peu morne même si celui-ci est relevé par une pointe de causticité et des techniques de narration vaguement modernes (celle des différents points de vue narratifs dans September September, par exemple).

L’amour en saison sèche, le plus réussi des deux livres, reprend un vieux thème, celui de la disparition d’un ordre ancien face à la modernité. Se déroulant essentiellement pendant la Grande Dépression dans la petite ville imaginaire de Bristol, Mississippi, il fait s’affronter deux riches familles, les Barcroft et les Carruthers, et complique encore leurs conflits économiques et érotiques avec un nouvel élément de disruption, l’arrivée d’un jeune homme de l’Ohio plein d’ambition qui va trouver la fille du major Barcroft à son goût, surtout « vue de dot ».

Tout se termine mal, bien sûr, mais mal non pas de manière tragique ou apocalyptique, mais médiocrement mal, en accord avec le cours longuet et délétère de l’histoire racontée par Foote. Cela se lit assez bien pour qui  évacue de sa mémoire le souvenir de Faulkner dont les œuvres opèrent avec le même type de matériaux, et pour qui aurait plus de curiosité sociologique ou historique que littéraire. En effet, la peinture de la décadence, de l’illusion d’une classe sociale sur son aristocratique passé, celle des passions négatives (brutalité, avarice, goût du pouvoir, luxure…) que réalise Foote, sont moins bien servies par l’approche scrupuleuse de l’auteur, a-t-on le sentiment, qu’elles auraient pu l’être par une visée plus hyperbolique, portée par le mouvement de l’épique, du tragique ou du satirique.

September September, le dernier roman de Foote, souffre des mêmes défauts que L’amour en saison sèche, bien que cette fois-ci l’auteur ait choisi une trame de roman noir (Gallimard fait d’ailleurs reparaître le livre dans sa collection historique). Le sujet est ici du domaine du sensationnel : le kidnapping (réel) d’un enfant à Memphis, en 1957, à l’époque où les tensions des événements de Little Rock, Arkansas, se propageaient partout dans le Sud. Ainsi donc, trois pieds nickelés blancs en quête d’argent facile enlèvent un enfant noir, fils d’une famille riche. Là aussi tout ira mal, et encore une fois de manière lente et sans éclat. Les monologues biographiques faits par chacun des trois kidnappeurs, leurs interactions désordonnées, l’angoisse stéréotypée de la famille du bambin, l’action foireuse et foirée, se déploient avec léthargie, malgré la diligence de l’auteur.

L’amour en saison sèche et September September, de Shelby Foote

Sans doute la quête de « vérité » que Foote a toujours dit poursuivre « de la même manière qu’un historien » ne porte-t-elle pas ici ses fruits les plus éclatants. On en vient à regretter qu’il n’y ait pas plus de bruit et de fureur dans le Sud de Shelby Foote ou même, à défaut, plus de fleurs de magnolias.

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