Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Treizième jour de confinement : « être aimé d’elle ou mourir ! ».
C’est une longue histoire que celle d’Alaciel, fille d’un prince égyptien. Sa grâce éclipsait les plus belles femmes de son temps. Elle fut souvent fatale à ceux qui croisaient son chemin.
Son père voulut la marier pour affaire, à un roi qu’elle n’avait jamais vu. Le bateau qui la conduisait d’Alexandrie fit naufrage. Alaciel et ses femmes furent les seules survivantes. Le vaisseau, rejeté avec violence par les vagues, alla s’enfoncer comme une flèche dans le sable sur une île des Baléares.
Vidalgo, qui habitait l’île, découvrit l’épave en se promenant le lendemain matin sur la plage. Il trouva Alaciel et ses compagnes couchées sous le bec de la proue. Il les recueillit dans sa villa, les soigna, et tomba amoureux de cette femme féerique qui était sortie des eaux et ne parlait pas sa langue. Vidalgo était séduisant, intelligent, et consumé d’amour : il prit son mal en patience. Il cachait sa passion sous le voile de l’indifférence. Un soir, il organisa une fête pour tous ses amis. Le vin coulait à flots — la coupe d’Alaciel était constamment pleine : légère et joyeuse, elle oublia ses chagrins. Elle s’amusait.
Alaciel dansa comme à Alexandrie. Elle reprenait vie.
Ils se couchèrent à l’aube, têtes titubantes. Lorsqu’il la raccompagna dans sa chambre, elle se laissa aller avec grâce et volupté. Elle ne regretta rien, ni le lendemain ni les jours suivants. Elle serait bien restée avec lui, vivre longtemps sur ce rivage. Une trajectoire aléatoire et fantasque lui donna d’autres amants, sur d’autres rives.
Le frère de Vidalgo jeta son dévolu sur elle. Il l’enleva en mer. Sur le bateau, il lui fit voir le saint Croissant, et le lui fit toucher. Au petit matin, il fut assassiné par deux matelots sordides qui le jetèrent par-dessus bord.
Elle rencontra plus tard le prince de Morée, qui en devint fou amoureux. Elle s’installa chez lui. Elle y fit la connaissance d’un ami du prince, gouverneur d’Athènes ; piqué par la curiosité, il avait insisté pour la rencontrer. Il fut immédiatement sous le charme — il ne pouvait pas la quitter des yeux : elle était si belle !
Il ne sentit pas le poison qui se glissait en lui.
Il perdit la raison, toute idée de justice, et prémédita de tuer son ami. En une nuit, il s’introduisit dans la chambre, défenestra le prince, enleva l’étrangère et l’enferma dans une prison dorée, en bordure de mer, chez lui.
Suspecté du crime, il fut étroitement surveillé. Un espion parvint à s’introduire dans la forteresse où la belle Alaciel était enfermée. Il profita d’une promenade dans le jardin : « Que personne ne bouge ! » Un bateau les attendait sur le rivage : ils embarquèrent.
Il l’emporta comme un oiseau.
Avec l’espion, l’Égyptienne vécut de beaux moments, cachée. On la retrouve à Smyrne, prisonnière de guerre d’un Turc. À Rhodes, elle vécut heureuse avec un homme qui, pour la première fois, parlait sa langue. Il mourut. À Chypre, elle partagea la vie de son compagnon le plus cher, un marchand qu’elle aima tendrement. Elle y rencontra par hasard un ami de son père, qui vit son visage se détacher dans l’embrasure d’une fenêtre. Il la ramena discrètement en Égypte, avec son consentement.
Le père fut, on peut l’imaginer, très ému de retrouver une fille qu’il croyait perdue au fond de l’eau. Elle lui raconta simplement qu’elle avait passé toutes ces années isolée dans un couvent des îles Baléares. Il était fou de joie. Il la trouvait resplendissante.
Bouche embrassée ne perd ni couleur ni fraîcheur, et se renouvelle comme la lune.