Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Quatorzième jour de confinement : « aux grandes espérances, hommage à Dickens ».
à Paris
Gautier d’Angers avait 40 ans. Veuf, deux enfants. Il avait belle allure. Lors d’une campagne militaire du roi, il devint chef du gouvernement. Il prenait sa tâche à cœur, convoquait autant qu’il le pouvait le conseil des ministres, et consultait aussi souvent la reine, qui avait été confiée à ses soins.
La jeune femme avait beaucoup de plaisir à le voir et le recevait toujours avec beaucoup d’égards. Elle aimait discuter avec lui. Elle finit par s’apercevoir qu’elle en était éprise. Dans sa rêverie, elle ne voyait pas de grands obstacles à son désir, sinon qu’elle avait honte de se déclarer : elle prit un jour la décision de la surmonter. Elle le fit venir.
Elle tremblait, incapable, d’abord, d’ouvrir la bouche. Qu’y avait-il ? Il ne comprenait pas.
« Mon ami, lui dit-elle, vous avez trop de lumières et d’expérience pour ne pas connaître jusqu’où va la fragilité des hommes et des femmes. (…) Si je continuais à me taire, dans mon état, je me condamnerais à un isolement desséchant, sans issue. (…) En secret, mon époux absent, nous pourrions (…). Il ne tient qu’à vous de me rendre heureuse ou malheureuse — je vous en prie ! »
Elle fondit en larmes, ne put continuer. L’excès de sa passion étouffait sa voix tremblée. Mais il n’était pas du tout sur la même longueur d’ondes : il n’était question pour lui ni de toute puissance de l’amour, ni de trahison. Il la rejeta.
Elle avait lu la Bible : explosant de colère elle se mit à hurler et l’accusa d’agression sexuelle, comme la femme de Potiphar. Gautier, éperdu, se précipita chez lui, fit ses bagages et prit la fuite avec ses deux enfants (Louis : 9 ans, Violette : 7). On brûla leur maison, ils furent condamnés à l’exil à perpétuité, leurs têtes mises à prix. Crime de lèse-majesté.
en Angleterre
A Londres, ils mendièrent aux portes des églises : une femme de la bonne société, compatissante, prit la petite fille sous sa protection. Le garçon atterrit dans le pays de Galles et finit par être pris en charge à la cour du prince. Gautier, le cœur fendu mais soulagé, alla se cacher en Irlande.
Violette, jeune fille, devint exquisite. Le fils de sa famille d’adoption avait un grand faible pour elle. Croyant son amour impossible, il gardait sa passion pour lui. Il sombra dans une mélancolie profonde, dont la cause échappait à tout l’entourage. À la vue de Violette, son cœur battait la chamade — un médecin, prenant son pouls, finit par faire le lien. Le mal n’était pas sans remède ! Il s’en ouvrit aux parents, qui furent stupéfaits, et compréhensifs. La mère alla trouver son fils, lui reprocha doucement d’avoir gardé son secret pour lui, lui dit qu’elle l’aimait d’autant plus : il avait en partage un don de la nature commun à tous les jeunes gens de son âge. Elle l’encouragea à sonder celle qu’il aimait, et s’en mêla un peu aussi. Un mariage fut conclu.
Comme sa sœur, Louis eut de la chance. L’épidémie qui ravageait le pays non seulement l’épargna, mais il épousa la fille du prince, qui le chérissait comme un trésor rescapé d’un désastre.
retours
Gautier voulut un jour revoir ses deux enfants. Il était vieux, il fit la traversée.
Il n’eut aucun mal à savoir ce qu’était devenu son fils ; il alla se présenter chez sa fille, en mendiant. L’âge, la fatigue et les chagrins l’avait défiguré. Profondément marqué par une vie tout entière passée dans la clandestinité, il n’eut pas le courage de parler.
Sait-on jamais ?
Violette avait deux enfants : ils s’attachèrent spontanément au vieillard qui venait à leur porte. Par charité, on lui proposa un travail, qu’il accepta : palefrenier. Chez sa fille, il s’occupait donc incognito du soin des chevaux, et avait le bonheur de jouer tous les jours avec deux enfants qu’il adorait.
En France, la reine tomba malade. Avant de mourir, elle confessa son crime passé. Gautier fut blanchi, sa famille graciée : une récompense attendait celui ou celle qui les retrouverait. Alors, Gautier alla trouver son fils, il se découvrit. Déchirantes retrouvailles. A Londres, la famille fut réunie. On allait se rendre à Paris ! Mais Gautier refusa d’enlever son habit de palefrenier : il voulait se présenter à la cour de France comme il était.
Rentrer, dans le costume qu’il avait porté toute sa vie.