Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Seizième jour de confinement : « sushis d’avril ».
Neri, à Florence, était un amoureux de la nature. Il voulut se retirer de la politique : il quitta la ville pour s’installer au milieu des oliviers, des noyers et des châtaigniers, à la campagne. La maison était magnifique, mais il passait le plus clair de son temps dans le jardin. Il le chérissait comme la prunelle de ses yeux, l’embellissait tous les jours. Il le fit irriguer pour y construire un bassin, rempli de poissons d’eau douce.
Un jour, le roi Charles s’annonça, sans façon. Il eut droit à une réception délicate – service impeccable, plats délicieux, vins divins. Il faisait beau, le repas fut servi dans le jardin. Après l’entrée, le roi vit passer deux anges : deux jeunes filles, 15 ans environ. Elles étaient blondes, les cheveux couronnés d’une guirlande de pervenches. Elles portaient une robe d’une blancheur resplendissante, qui s’évasait au sol et tombait sans pli en soulignant les lignes du corps. Dans leurs bras, un étrange attirail :
des fagots, un flambeau, des filets ; une poêle, un pot d’huile, un bâton, un trépied.
Elles passèrent devant lui, s’inclinèrent, puis gagnèrent l’entrée du vivier, suivies d’un cuisinier.
Devant pareil cortège, le roi se tut.
L’une prend un bâton, l’autre un filet. Elles entrent dans l’eau du bassin et s’y plongent jusqu’au sein. Le domestique fit chauffer la poêle. De mains de magiciennes, elles pêchaient. Sous les yeux du roi, un ballet virtuose accompagnait le plat dans les assiettes : il voyait les poissons frétillants passer de vie à trépas.
Ce curieux spectacle, qui sollicitait tous les sens, était étourdissant. On mangeait au rythme de la pêche un poisson cuit et préparé devant les tables. Quand les deux pêcheuses sortirent de l’eau, elles étaient comme nues : le tissu mouillé épousait leurs corps, elles brillaient au soleil.
Elles repassèrent, intimidées. Le roi les dévorait des yeux avec volupté. L’une et l’autre, indistinctement.
« Qui sont-elles ? » : il finit par poser la question. « Guenièvre et Yseut – mes jumelles. »
Restait le dessert. Les deux créatures resurgirent, dans une autre tenue. Elles portaient des fruits de saison dans des coupes d’argent. Le roi fut invité à se servir. Un peu à l’écart de la table, elles se mirent à chanter pour lui – il se crut transporté au paradis.
Il eut des visions, des rêves de piscine.
D’autres filets l’avaient pris au piège et liquéfiaient son cerveau engourdi. Il se mit à avoir des obsessions, à faire des projets fantasques de possession et de domination. Un paradis d’un autre type. Heureusement pour lui, il était bien entouré. Un conseiller intime, auquel il découvrit ses désirs les plus sombres, lui remit les idées en place. Il lui représenta l’ennemi qui lui faudrait avoir le courage de combattre, sa puissance, et la nécessité, quand on est homme de pouvoir, de dompter ses désirs, quand ils sont condamnables. Les images et les histoires circulent.
« N’imprimez pas sur votre nom une tache qui ne s’effacera plus. »
Ce fut une douche froide. La mort dans l’âme, il s’inclina. Il laissa les deux reines pêcheuses descendre en boucle dans les bassins de sa mémoire.