Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Dix-septième jour de confinement : « Dieu récompense ceux qui bêchent ».
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, être femme, ou pauvre, n’empêche ni la sensibilité ni l’intelligence. Et c’est vite démontré.
Le poste de jardinier d’un monastère de nonnes était vacant depuis peu. Mazet, un villageois robuste et malin, eut envie de tenter sa chance. Sa jeunesse, néanmoins, était un obstacle, peut-être. Pour avoir ses chances, il eut l’idée de prétendre qu’il était affecté d’un handicap : il était sourd, et muet.
Mazet se rendit sur place avec une pioche et une cognée sur l’épaule. L’intendant du monastère croisa cet homme, qui lui demanda à manger dans la langue des signes. Mazet proposa ensuite ses services : on lui fit couper d’énormes souches, il les chargea sur un âne. Pendant plusieurs jours, il fut testé sur plusieurs tâches, dont il s’acquitta à la perfection. L’intendant signala sa présence à l’abbesse : cet homme robuste et de bonne volonté serait très utile ; il ne risquait pas d’importuner le monastère : il était sourd, et muet.
Mazet fut employé comme jardinier du monastère. Au milieu des plantes, il se taisait.
Sa présence divertissait les religieuses, qui venaient constamment le voir travailler. Loin de soupçonner qu’il pût les entendre, elles ne se gênaient pas et lui disaient des idioties. Il restait muet.
Un jour, il s’était allongé dans l’herbe pour se reposer au soleil. Deux jeunes nonnes approchèrent : pour surprendre leur conversation, il fit semblant de dormir. Des pieds à la tête, elles le couvaient du regard. « J’ai souvent entendu dire, dit l’une, que rien n’égalait le plaisir qu’une femme goûte avec un homme. Ce muet est l’homme qu’il nous faut…
– Ma sœur, avez-vous oublié vos vœux ?
– Des vœux, on en fait tous les jours ! »
Elles le prirent par la main : il fut conduit avec douceur jusque dans sa cabane, dans le fond du jardin. Il suivit en riant, toujours muet. La chose fut faite sans s’embarrasser de pudeur.
Les deux complices regagnèrent leurs cellules, enchantées.
On imagine la suite : Mazet avait deux jardins à cultiver — tout le couvent visitait la cabane, à l’insu de l’abbesse.
Un jour qu’elle se promenait par temps chaud, elle trouva le jardinier, couché sous un amandier. Pour avoir peu à faire le jour, il avait travaillé toute la nuit. Il dormait. à cause de la chaleur, il était en chemise, ouverte.
Au passage de la dame, le vent la souleva.
L’abbesse réveilla Mazet. Elle l’attira dans sa chambre : il y fut plusieurs jours séquestré. Les autres furent privées de leur bon jardinier, qui ne pouvait plus suffire à la tâche. N’y tenant plus, il parla.
Un miracle : il avait retrouvé la voix.
Secrètement, le monastère se réunit en urgence. D’un commun accord, on prit le parti de garder le jardinier, d’aménager ses heures et son calendrier.
Mazet passa sa jeunesse de la manière la plus agréable. À l’âge de la retraite, il sortit très riche – d’une maison dans laquelle il était rentré presque nu.
Il garda le secret.