Un romantisme ouvert à la réalité du monde

Novalis est peut-être le plus européen des « romantiques allemands ». Il échappe d’une certaine manière à l’aigreur qui, par exemple, caractérise souvent la prose de Friedrich Schlegel. Il n’est pas dans le courroux de Kleist, mais dans une sorte d’apaisement.


Novalis, À la fin tout devient poésie. Trad. de l’allemand et précédé de Science, art et religion par Olivier Schefer. Allia, 272 p., 15 €


Novalis se nommait en réalité Friedrich von Hardenberg. Il naquit en 1772 et mourut en  1801 de la tuberculose. En très peu d’années, il édifia une œuvre majeure, dont l’influence fut très grande tout au long du XIXe siècle : Heinrich von Ofterdingen, écrit comme pour être le revers du Wilhelm Meister de Goethe, est son œuvre romanesque principale. Les Hymnes à la nuit sont un cheminement mystique qui annonce Rimbaud. C’est un romantisme fluide.

Mais l’essentiel de son œuvre est fragmentaire, et volontairement fragmentaire car « l’écriture l’emporte sur l’écrit, le procédé sur le résultat final », comme l’écrit l’éditeur et traducteur de ce volume, Olivier Schefer, dans sa très belle introduction. La continuité de l’écriture ne s‘achève pas dans le texte écrit, mais se réalise dans l’inachèvement, d’un fragment à l’autre.

C’est dans l’espace blanc qui sépare les fragments que glisse non le sens, mais l’aptitude à la saisie. On compte dans cet ensemble 3 247 fragments qui emportent le flux de la pensée d’un domaine à l’autre. Les premiers éditeurs les ont classés par rubriques,  ce qui n’enlève rien à leur mouvement dans la diversité. Un ensemble de textes rassemblés après le décès prématuré du poète, intitulé Nouveaux fragments, montre la variété des intérêts de Novalis. Un autre ensemble de fragments, intitulé Die Enzyklopädie, semble avoir été rédigé en même temps que Pollen (Blütenstaub), paru en 1798 dans la revue Athenäum que dirigeaient les frères Schlegel et Schiller.

Novalis, À la fin tout devient poésie

Ce qui rend la pensée de Novalis si originale et créatrice, c’est l’unité fondamentale entre science et poésie qui s’y manifeste. Novalis était ingénieur des mines. Les mathématiques et la physique sont partout présentes dans les notes qu’il ne cessait de prendre (sur l’hydrographie, par exemple) ; les poèmes ou réflexions littéraires se mêlent, selon un même élan intérieur. « Le rêve est d’autant plus intense et vrai chez lui qu’il se nourrit de mathématiques, de physique, de météorologie et de toutes les disciplines qui révèlent la nature dans son ingénieuse diversité », comme l’écrit Olivier Schefer.

Aux côtés de Goethe, mais d’une tout autre manière, moins axée peut-être sur le visible, Novalis représente cet esprit d’harmonie qui fait du monde un développement incessant, où tout non seulement est lié mais est de même nature. Le déisme presque catholique et délibérément « éclairé »  de Novalis est, malgré les apparences, beaucoup plus dépendant des Lumières, telles qu’elles évoluent en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, que chez bien d’autres romantiques. Il y a chez lui une érotisation de la métaphysique.

Curieusement ; il ne faut pas oublier La Chrétienté ou l’Europe, un texte très court et tout à fait étonnant où il est question d’individualité universelle. Contrairement à ce qui se passe chez Fichte, il n’y a chez Novalis nulle trace de ce nationalisme allemand dont on sait ce qu’il donnera un siècle plus tard. Pour Novalis, la réalité est plus un projet qu’une donnée factuelle.

Le choix fait par Olivier Schefer, 250 pages sur plusieurs milliers, mène au cœur même de la pensée de Novalis, grâce à de courts extraits de correspondance, à des remarques de physique ou sur la médecine, aussi bien qu’à des fragments poétiques. Novalis figure le point de jonction entre le monde ancien et la modernité naissante.

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