Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Quarante-deuxième jour de confinement : « fantaisie-valse ».
« J’ai compris ta détresse
Cher amoureux
Et je cède à tes vœux
Fais de moi ta maîtresse
Loin de nous la sagesse
Plus de tristesse
J’aspire à l’instant précieux
Où nous serons heureux
Je te veux »
(Henry Satory, Erik Satie)
À Camerata, Nicola Cornaccini avait aussi une magnifique villa. Philippe, son fils, y amenait souvent des femmes.
Cette année-là, le maître des lieux avait fait appel à une équipe de peintres pour embellir l’intérieur : les deux B., Calandrin et Nello (un parent de Tesse, la femme de Calandrin) faisaient équipe sur le chantier.
Un nuit, Philippe était venu avec Colette. Le matin, elle sortit de la chambre en petite chemise, les cheveux en broussailles : elle allait au puits qui se trouvait dans le jardin pour se débarbouiller. Elle y croisa Calandrin, qui puisait de l’eau.
Ils se dévisagèrent (avec étonnement). Devant la beauté sans fard de Colette, Calandrin eut un véritable coup de foudre (animé). Colette fit des coquetteries, et resta assise là à le regarder (avec conviction et une tristesse rigoureuse).
Calandrin retourna à l’ouvrage – il ne faisait plus que soupirer, le regard vague (lent et triste). B. s’en aperçut. Il interrogea son camarade. Calandrin finit par lui faire une confidence : il avait croisé celle qu’il croyait être la femme de Philippe – une nymphe ; et, selon lui, il lui avait fait beaucoup d’effet aussi.
Il ne pensait qu’à elle, il voulait la revoir.
B. promit son aide, et le secret : « Laisse-moi faire – je te garantis le succès ! »
Dès que l’occasion fut favorable, il s’empressa d’aller raconter aux trois autres la passion subite de Calandrin pour Colette ; il mit Philippe et la jeune femme dans la confidence. Puis il proposa à Calandrin de lui servir d’intermédiaire : « Que veux-tu que je lui dise ?
– Premièrement que je suis son serviteur.
Deuxièmement que j’ai pour elle une bonne dose de l’élixir qui arrondit les femmes.
Troisièmement que je suis son serviteur. »
La journée était finie : les peintres laissèrent leur ouvrage en plan et traversèrent la cour. Philippe et Colette s’y trouvaient. Calandrin, au passage, fit des grimaces de connivence qui se voulaient discrètes (du bout de la pensée). Colette lui donnait le change (de même couleur).
Sur le chemin du retour, B. alla lui parler : « Elle fond devant toi comme neige au soleil ! Tu devrais apporter ta guitare et lui chanter une sérénade à sa fenêtre : elle te tombera dans les bras.
– Tu crois ?
– Absolument.
– Tu vas voir, l’amour que je lui inspire ! (postulez en vous-même).
– Avec quel transport tu la saisiras… Je vois déjà tes dents faites en chevilles de luth mordre ses lèvres rouges, ses joues de rose, et petit à petit la manger toute entière. »
Le lendemain, Calandrin était là, avec sa guitare (fantaisie-valse) – les jours suivants aussi (répété 840 fois). Colette était éprise et prise : elle lui faisait comprendre que sa patience serait récompensée, et le faisait attendre.
Les deux B. s’étaient chargés des échanges épistolaires et avaient organisé un trafic de cadeaux : ils se faisaient offrir des peignes en ivoire, une paire de ciseaux, des porte-monnaie de cuir – pour la belle ; en échange de quoi, ils offraient de sa part à Calandrin des anneaux de pacotille, que l’amoureux transi regardait comme des bijoux très-précieux.
Ce petit jeu dura tout le temps du chantier. Quand il tira sur sa fin, Calandrin voulut conclure. Il s’en remit à B., qui lui vendit un sortilège. Il fallait : un parchemin vierge, une chauve-souris en vie, trois grains d’encens et une chandelle bénite. Il subjuguerait la belle.
Soumission, immédiate et totale.
Calandrin s’exécuta (peu vite). Le lendemain, B. griffonna avec son pinceau des signes cabalistiques sur le parchemin, lâcha la chauve-souris dessus, écrasa l’encens, et brûla les coins. « Si tu la touches avec ça, elle sera toute à toi. Elle te suivra, comme possédée, jusqu’à la grange. C’est du tout cuit. »
On devine un peu la suite.
Se croyant seul, Calandrin s’approcha de Colette (lent et grave) : il l’effleura avec son parchemin (dans une grande bonté). Il se dirigea vers la grange (très luisant), se retournant régulièrement, pour voir si l’hypnose était efficace.
Colette suivait (lent et calme). Elle entre dans la grange (plus intimement). Elle saute à son cou, se met sur lui à califourchon en lui bloquant les mains aux épaules : « Mon amour, ma vie, mon cœur, il y a si longtemps que je veux te serrer dans mes bras ! » Il étouffait (très lié).
« Cher ange, desserrez un peu votre étreinte, que je sois libre de vous embrasser !
– Ciel, tu es bien pressé ! Attends, je veux me rassasier de la vue de ton visage enchanteur. »
Il allait renverser la posture et la situation, quand Tesse surgit (subito). Elle se précipite sur Calandrin, qu’elle voit se débattre sous Colette. Elle lui lacère le visage, l’insulte, le moleste. Colette se dégage et va se réfugier dans l’ombre – car Philippe, qui était averti, et les deux B. étaient cachés dans un coin. C’était Nello qui était descendu à toute vitesse à Florence pour prévenir Tesse que son mari avait une maîtresse.
Calandrin se leva (très vague et lent). Il était rouge, et plus mort que vif. Il ramassa son chapeau, hagard, et prit le chemin du retour (lent et douloureux). Tesse suivait : elle continuait à l’invectiver (vivache).
Depuis ce jour, Calandrin évita la route de Camerata pour toujours.
Dans la grange un bout de parchemin brûlé couvert de signes étranges était resté coincé dans la paille – il dansait avec le vent (léger).