Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Quarante-cinquième jour de confinement : « le bonheur de n’avoir rien ».
Calandrin et ses acolytes, encore et encore – benêt contre bêtise.
Notre héros reçut, à la mort d’une vieille tante, un petit héritage. Il se crut devenir un des plus riches particuliers d’Italie. Il se mit alors en tête d’acheter une ferme : il en parla à tout le monde, engagea des négociations. Bien entendu, il n’avait pas les moyens de ses ambitions et dut renoncer à tous les engagements qu’il avait pris.
Les deux B., comme toujours, éclairaient sa conduite ; ils lui firent valoir qu’il serait bien plus sage d’employer son argent à régaler ses amis – sans succès : Calandrin ne voulait pas toucher à un centime de la somme héritée. Il était inflexible.
Mais B. et B. avaient un plan. L’ami Nello fut mis dans la confidence.
Nello croisa un jour Calandrin dans la rue. « Salut. – Salut. » Il le considéra avec inquiétude.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?
– Tu te sens bien ? Que t’est-il arrivé ?
– Ben oui, ça va, pourquoi ? »
Nello prit un air stupéfait, légèrement scandalisé. Il n’en dit pas plus et reprit sa route.
Passe Bulfamaque. « Salut. – Salut. »
Bulfamaque dévisage Calandrin.
« Ça va, Calandrin ?
– Ben, je ne sais pas, Nello vient de me poser la même question. Qu’est-ce que j’ai ?
– Ce que tu as ? Mais tu as l’air à moitié mort ! ».
Arrive Bruno : « Ouh la !, Calandrin, t’es tout pâle, que t’est-il arrivé ? »
Calandrin commençait à paniquer.
« Va donc te mettre au chaud dans ton lit et fais venir le docteur Simon en urgence. – On t’accompagne. »
Tout pâle, Calandrin rentra chez lui. Tesse se chargea de le mettre au lit. Les deux B. lui assurèrent que le docteur Simon avait ordonné une analyse d’urines. Calandrin remplit une fiole, que Bruno devait porter au cabinet médical. On attendit la visite du docteur.
Dans la chambre, l’angoisse montait.
Il arriva – B. et B. l’avaient prévenu de tout. Il tâta le pouls du malade, l’examina attentivement, perplexe. Il ausculta longtemps le bas ventre. Le diagnostic tomba.
« Calandrin, je ne vais pas te mentir, c’est très curieux et très fâcheux : tu attends un enfant. »
« Quoi ?! » Le patient dévisagea sa femme, hors de lui : « C’est toi qui m’as mis dans cet état ! Je te l’avais bien dit qu’il ne fallait pas (…). »
Tesse, toute rouge, quitta la chambre.
« Mon Dieu, mon Dieu, que vais-je devenir ? Comment faire ? Par où l’enfant va-t-il sortir ? Pauvre de moi, je vais mourir – mououou-rir ! »
Il s’agitait dans son lit.
« Ah !, si je le pouvais, je me lèverais ! J’irais la rouer de coups, cette maudite femme. En tout cas, si jamais j’en réchappe, je ne répondrai plus à ses désirs bizarres, ça c’est sûr et certain ! Kamasutra par ci, Kamasutra, par là : et voilà ! »
Les deux B. tentaient de le calmer.
« Docteur, que puis-je faire ? Aidez-moi !
– Mon ami, il ne faut pas te tourmenter comme ça ! Grâce à Dieu, la chose est prise assez tôt pour qu’on y remédie. La solution est très efficace, mais elle est un peu coûteuse.
– J’ai ce qu’il faut, Dieu merci. Je sacrifierai mon héritage pour me soigner, s’il le faut, ou pour me faire passer l’enfant. Je ne crois pas que je supporterai un accouchement ! Quand on les entend crier… J’y passerais, c’est sûr. »
Il fallait écouter le docteur ; il ne fallait pas quitter le lit ; il allait lui préparer un breuvage – en trois jours, il serait tiré d’affaire. On n’y verrait plus rien.
Pour la potion, il fallait : une demi-douzaine de chapons gras et une préparation chimique spéciale. Elle coûtait 5 livres. Argent et chapons devaient être envoyés directement au cabinet médical.
Le lendemain, chez le docteur Simon, on ripaillait à la santé de Calandrin.
Trois jours durant, le patient prodige avala le bouillon que lui envoyait le docteur. Ses amis le visitèrent. Le troisième jour, Simon vint lui tâter le pouls.
« Tu peux te relever, tu n’as plus rien. »
Quel soulagement ! Le bonheur – de n’avoir rien.