Fondée en 1981, la revue Novos Estudos Cebrap symbolise une nouvelle étape pour l’institution dont elle fait partie, le CEBRAP (Centre brésilien d’analyse et de planification). Journal révélateur d’un basculement dans le contexte politique et académique brésilien, il fête son numéro 100 en 2014.
Le CEBRAP est fondé en 1969, alors que la dictature militaire brésilienne entame sa période la plus répressive. Suspension unilatérale des garanties constitutionnelles et civiques, hausse de la persécution politique et idéologique. Sa création répond en partie à deux facteurs : les purges effectuées par la dictature militaire à l’Université et la volonté des chercheurs du FLASCO (Faculté latino-américaine de sciences sociales) et de l’ILPES (Institut latino-américain de planification économique et sociale) de posséder un centre de recherche. Parmi ses membres, on trouve des universitaires et des enseignants privés de leurs activités par la dictature militaire. Beaucoup d’entre eux ont participé à un célèbre séminaire de lecture de l’œuvre de Marx.
La revue est créée en réponse aux transformations subies par le CEBRAP, provoquées par les profonds changements politiques qui ont eu lieu à la fin des années 1970 : création d’un nouveau système partidaire et loi d’amnistie de 1979. Avec la création d’un tel système, le centre se divise entre sympathisants du PMDB (Parti du mouvement démocratique du Brésil) et du PT (Parti des travailleurs). La loi d’amnistie permet de son côté la réintégration de nombreux membres à l’Université, et ainsi une baisse d’intérêt des membres pour le CEBRAP. En ce sens, bien que cette période ait été vécue comme une crise au CEBRAP, il est intéressant de souligner que la revue apparait à une période où le centre rassemble trois entités importantes du Brésil d’aujourd’hui : l’Université, le Parti des travailleurs et le Parti de la social-démocratie brésilienne. Ce dernier est créé en 1988 par des dissidents du PMDB.
Le numéro 100 sort en novembre 2014, un mois après les élections les plus controversées de la nouvelle république brésilienne, promulguée en 1988. Avec 51,64 % des voix, Dilma Rousseff est réélue présidente du Brésil. En feuilletant le volume presque six ans après, on décèle une étrange parenté entre ces articles et des éléments de la crise ultérieure. On y trouve dix articles préfigurant, directement ou indirectement, la tempête politique ayant dévasté le pays entre 2015 et 2018.
L’introduction, écrite par Paula Monteiro, éditrice à l’époque, célèbre l’histoire de la revue, évoque sa longévité inhabituelle et affirme sa vocation pour la culture et la pensée critique. D’autre part, elle révèle la principale transformation de ces trente-trois années d’existence, au cours desquelles la revue s’est affirmée comme l’une des plus prestigieuses revues académiques. Prestige qui coule également dans les plumes. En effet, les contributeurs de la revue font partie de la plus haute élite intellectuelle brésilienne : Roberto Schwarz, Ismail Xavier, Angela Alonso, Marcos Nobre, Ricardo Terra – deux générations d’intellectuels parmi les plus reconnus, de professeurs des universités parmi les plus importantes du pays.
Enfin, le contenu des articles attire l’attention : un article d’Adam Przeworski sur l’instabilité des régimes politiques en Amérique latine, un autre sur les débats économiques autour de la faible croissance de l’économie brésilienne, signé Marcos Nobre. Ricardo Terra analyse la situation des universités brésiliennes, alors que Roberto Schwarz rend compte de l’un des derniers livres de Machado de Assis, Esaú e Jacó. Pour finir, Angela Alonso s’intéresse au Movimento Abolicionista – l’abolitionnisme brésilien –, thème canonique dans le monde intellectuel brésilien.