Les Lettres Nouvelles : toutes les littératures

Le numéro 100 des numéros 100 En attendant NadeauIl y eut bien plus de cent numéros, mais il n’y eut jamais de numéro cent. C’est que Les Lettres Nouvelles se renouvellent souvent, changent de formule, comme on le dit d’un médicament. La posologie varie au fil du temps – mensuel (de mars 1953 à février 1959, n°1-68), hebdomadaire (du 4 mars au 30 décembre 1959, n°1-36), bimensuel (de mars 1960 à 1977) – en fonction des éditeurs : Julliard d’abord, puis Denoël.

Maurice Nadeau, le créateur (avec Maurice Saillet) et directeur au long cours, rédige l’ordonnance et administre la dose, façon ni-ni-ni-ni : « Ensemble, nous voulons une revue qui ne soit ni la N.R.F. ni Le Mercure qui renaissent de leur cendre, ni La Table ronde, protégée par Mauriac, ni La Parisienne de Jacques Laurent. »

Les numéros passent, l’envie reste intacte : faire entendre la littérature, toutes les littératures, rien que la littérature. Michaux ouvre le bal, on ne peut rêver meilleur éclaireur, pardon : ratureur : « Rature sur les traits du visage / sur l’empreinte de l’objet / sur la trace du fait… ». S’ensuivent quelques écrivains parmi les meilleurs de leur époque, si ce n’est plus : Lowry, Gombrowicz, Pasternak, Bonnefoy, Barthes, Cayrol, Lanzmann, Prassinos, Prévert, Cummings, et j’en passe. Il y a de la place pour tous et pour tout, pour les extraits de livres à venir, les chroniques, les notes, les coups de cœur et les coups de gueule, sans oublier « La Gazette d’Adrienne Monnier ». Pendant un temps, Les Lettres Nouvelles publient même l’ouvrage d’un auteur qui tient lieu de numéro de la revue : Jean Reverzy verra paraître de cette manière plusieurs de ses livres. Et puis il y a cette idée que la littérature n’est pas chose ethnocentrée, encore moins franco-française. Voyez les numéros consacrés aux écrivains hongrois, néerlandais, canadiens, américains…

Un jour, pourtant, il y eut un numéro sans. Ce n’est pas un numéro raté, ou mal édité, ou oublié, non, c’est même plutôt un bon numéro (qui n’a malgré tout pas de numéro – troisième série oblige) : on y trouve ou retrouve quelques-unes des plumes habituelles (Lucette Finas, Monique Fong, Hélène Cixous, Roger Dadoun…), on (James Stern) nous conte une rencontre avec Lowry, encore lui toujours lui, on nous parle de Raymond Aron, de Joyce et de Nerval. Mais de quoi s’agit-il alors ? C’est en fait plus que ça… et c’est moins que ça. Il faudrait parler d’un « manquant », d’un « oubli », d’un « blanc », d’un « trou », la texture d’un texte tortureusement drôle, et qui narre les aventures d’un certain Anton Voyl. Ça s’appelle La consultation, ça deviendra le premier chapitre du quatrième roman de Georges Perec, La disparition, qui sera publié quelques mois plus tard, aux… Lettres Nouvelles. Comm  d  bi n  nt ndu.


(À propos de la naissance des Lettres Nouvelles, lire Maurice Nadeau, Grâces leur soient rendues, Albin Michel, 1990.)