La revue Europe a célébré son numéro 100 le 15 avril 1931, avec un sommaire austère, marqué par les débats politiques et les publications littéraires.
C’est ainsi que le numéro 100 d’Europe s’ouvre par la « Préface à l’Autobiographie de Gandhi », à paraître aux éditions Rieder. Préface due à Romain Rolland, qui avait apporté son soutien et sa caution morale – sans y participer – à la revue lors de sa création en 1923. Cette préface à ce que Rolland présente comme le « bréviaire de tous les hommes d’action » prépare les esprits à la visite que Gandhi fera en décembre de la même année à Villeneuve, en Suisse, chez Rolland. Nous sommes déjà, aux yeux de ce dernier, bien plus loin que dans le seul horizon européen.
La littérature (notamment étrangère) n’est évidemment pas absente de ce numéro, avec une nouvelle de l’Italien Arturo Loria et un poème du Hongrois Louis Kassak, mais ce qui attire l’attention, ce sont les pages de Jean Prévost sur « les profits de l’intelligence ou Destin de Sainte-Beuve », extraits d’un livre à venir (Trois épicuriens français) dans lequel le futur résistant du Vercors constate « l’échec de l’épicurisme privé ».
Que devient l’URSS ? Cette question politique majeure dans ces années 1930 est à l’œuvre dans le long article prudemment sceptique de Michaël Farbman sur le « plan russe », provenant également d’un livre, préfacé par Jean Guéhenno, qui est le rédacteur en chef de la revue depuis janvier 1929. C’est dans le même esprit que, le 17 mai 1932, Jean-Richard Bloch, dans une lettre à Rolland, expliquera sa position, disant sa méfiance envers « le délire quinquennal de l’URSS stalinienne » et en même temps son engagement absolu envers « la patrie prolétarienne ». C’est précisément de Jean-Richard Bloch qu’on peut lire un singulier compte rendu d’une réunion publique à Poitiers entre un socialiste et un communiste, compte rendu qui esquisse une sorte de De oratore militant.
Viennent ensuite dans un certain désordre des notes de lecture, des chroniques, des comptes rendus, une rubrique « Livres », le plus souvent d’un grand intérêt. C’est vrai, en particulier, du récit à la fois terrible et presque comique de la visite que Jean Guéhenno rend rue Oudinot au chef de cabinet du ministre des Colonies pour plaider la cause de soixante Vietnamiens condamnés à mort… Il en ressort « triste et honteux ». La revue publie d’ailleurs une pétition à ce sujet.
Parmi les notes et chroniques les plus brillantes, notons l’article du musicologue Louis Laloy sur le Goethe et Beethoven de Romain Rolland, celui de Louis Guilloux sur des « souvenirs » de Jules Vallès, une démolition de Julien Green par Jacques Robertfrance, l’ancien secrétaire de rédaction ; Philippe Soupault écrit sur Israël, où vas-tu ? de Ludwig Lewisohn et sur Knut Hamsun, on lit une analyse de la situation espagnole (« L’Espagne et son roi ») par Georges Charensol, une présentation du « fordisme » par Emmanuel Berl, et le poétique « Homère ressuscité » de Victor Bérard. Sans oublier une recension de L’Inde contre les Anglais, d’Andrée Viollis – la seule femme de ce numéro, avec Anna de Noailles.